13 juillet 2009
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Les militaires honduriens, entraînés et armés par les États-Unis, deviennent dès 1957 un acteur politique prépondérant, n'hésitant pas à mettre sur la touche les gouvernements civils. Dans les années 80, Washington fit du Honduras une plate-forme pour sa stratégie d'agression contre le Nicaragua sandiniste et de soutien logistique à l'armée salvadorienne. Les militaires durent remettre le gouvernement aux civils afin de doter le pays d'une façade «démocratique». La constitution de 1982 est un produit de ce ravalement. La militarisation de la société s'intensifia même pendant une décennie. Les assassinats et les disparitions frappèrent les organisations populaires, faisant régner la terreur.
République bananière
Le pays a incarné jusqu'à la caricature la «république bananière» ouverte à toutes les ingérences et à la corruption. Une longue tradition de servilité et de vassalité forme le tissu de son histoire. Que de fois les élites honduriennes ont pensé assurer leur prospérité en s'associant à des intérêts étrangers! Après avoir offert un territoire pour le projet d'un canal interocéanique, les élites virent dans la banane le produit qui allait faire la richesse du pays.
Les sociétés étrangères se disputaient des concessions et soutenaient des partis rivaux ou des dictateurs pour obtenir des faveurs. L'assistance est devenue par la suite la nouvelle vache à lait, avec comme corollaire la corruption. Si cette source rapporte désormais moins, elle n'a pas disparu.
Parallèlement, le Honduras a multiplié les concessions pour attirer des usines de sous-traitance, des sociétés minières (y compris du Canada) et des sociétés forestières. Ses élites ont fait preuve de myopie, opposant une attitude défensive face aux demandes sociales. Plus de la moitié de la population vit en deçà du seuil de pauvreté.
Le parcours de Zelaya
Le président Manuel Zelaya est issu de l'élite. Industriel forestier et éleveur, il dirigea des associations patronales. Élu député en 1984, il a occupé plusieurs postes dans des gouvernements libéraux. Appartenant à la faction progressiste du parti libéral, il fut chargé de la direction de programmes sociaux. Élu de justesse en novembre 2005 sous la bannière libérale, il avait fait campagne pour une approche sociale de la criminalité face à un adversaire qui prônait la répression la plus dure.
On peut donc lui attribuer une sensibilité progressiste qui le démarquait au sein de sa classe et des partis politiques. Sa gestion présidentielle a confirmé cette tendance. Une de ses premières mesures a été d'augmenter de 60 % le salaire minimum. Il a aussi noué des relations avec le président Chávez.
Un accord avec Petrocaribe permet au Honduras de différer de 25 ans les paiements sur la moitié du pétrole qu'il achète et d'utiliser les fonds ainsi économisés pour financer des programmes sociaux. Et il adhère en 2008 à l'Alternative bolivarienne pour les Amériques. Manuel Zelaya s'inscrit publiquement à gauche. En même temps que les élites dénoncent ce virage, les mouvements sociaux connaissent une nouvelle vigueur: des regroupements se forment (COPINH, Bloque popular, Unificación democrática, etc.). Cela ne fait pas de Zelaya un «socialiste». S'adaptant aux vents nouveaux, rompant avec plusieurs politiques néolibérales, il inscrit son action dans une volonté de rendre effective la participation citoyenne, d'approfondir la démocratie.
Tous contre lui
Dans un pays aussi conservateur, Manuel Zelaya dérange tous les puissants. Les élites ne se reconnaissent plus dans l'homme. Dans la consultation annoncée pour le 28 juin -- sur l'opportunité d'ajouter une quatrième urne lors des élections générales du 29 novembre prochain --, elles ont vu une manoeuvre destinée à leur opposer l'opinion publique et à conférer une légitimité à la campagne en faveur de la convocation d'une assemblée constituante.
Tous les pouvoirs se sont alors ligués contre Zelaya: le Congrès (y compris son parti), la Cour suprême, l'Église, les médias, les forces armées. Même si la consultation n'était pas contraignante et ne pouvait être assimilée à un référendum, ils n'ont pas voulu courir le risque d'être mis en minorité par le «peuple». Ils ont prétendu que Zelaya cherchait par ce moyen à arracher un second mandat, ce qu'interdit la constitution de 1982.
Le véritable enjeu était l'élaboration d'une nouvelle constitution pour fonder un Honduras réellement démocratique. À court terme, une constituante peut fournir l'occasion à des débats qui font avancer la participation citoyenne. La procédure peut se transformer en une école. Le projet pouvait permettre aux organisations populaires et indigènes de faire entendre leur voix. Voilà pourquoi elles soutenaient massivement la démarche.
Inspiration vénézuélienne
La Cour suprême a proclamé le caractère illégal de la consultation. Tous les autres corps se sont servis de cette décision pour justifier leur action contre le président Zelaya. Tous ont travaillé de concert. Les militaires ont utilisé la force pour arrêter le président et l'exiler au Costa Rica. Le Congrès a même prétendu disposer d'une lettre datée du 25 juin par laquelle Zelaya avait signifié sa démission, invoquant la polarisation du pays et des raisons de santé (un faux fabriqué). Puis il a désigné un successeur. Pendant ce temps, les médias appliquaient un «blackout» complet sur la situation. Niant la réalité du coup d'État, tous les pouvoirs ont voulu faire croire à une «succession constitutionnelle».
Ce scénario s'inspire du coup d'État du 11 avril 2002 au Venezuela: la capture du président par les militaires, la fausse démission, le «blackout» médiatique. Chávez et le Venezuela servaient d'épouvantail pour discréditer Zelaya et son projet. Mais, à la différence de ce qui s'est passé au Venezuela, ce n'est pas d'abord la rue qui peut remettre Manuel Zelaya au pouvoir. Les organisations populaires n'ont pu se mobiliser comme elles le firent au Venezuela.
Des ordres de capture ont été émis contre les dirigeants ainsi que les ministres du gouvernement Zelaya. Le couvre-feu a été proclamé. Les partisans de Zelaya peuvent bien défier les putschistes en tenant des manifestations. Les forces de sécurité ont occupé tout le terrain, et la répression brutale s'abat avec des morts, des blessés, des arrestations. Zelaya n'a pu disposer, à la différence de Chávez, de la loyauté de militaires. Ce qui fait la différence dans le cas du Honduras, c'est la réprobation unanime et immédiate du coup d'État par tous les gouvernements d'Amérique latine et par diverses instances régionales (ALBA, Groupe de Rio, UNASUR, etc.). L'Organisation des États américains n'a pas hésité cette fois à condamner le coup d'État et a déployé beaucoup d'énergie à rétablir l'ordre constitutionnel.
Les États-Unis
La nouveauté réside également dans l'attitude des États-Unis. L'administration Obama n'a jamais reconnu les putschistes. Le Département d'État a vite dénoncé le caractère illégal de la destitution. Le président Obama, après s'être limité à exprimer sa «vive préoccupation», a reconnu en Zelaya le président légal. Washington a accompagné cette fois les pays d'Amérique latine. Cela ne veut pas dire que certaines agences états-uniennes n'aient pas contribué à la crise.
On voit mal l'état-major et les officiers formés dans les écoles militaires du Pentagone s'aventurer dans cette opération sans en discuter au préalable avec les représentants du Pentagone sur place (la base de Soto Cano abrite 500 militaires états-uniens). USAID finance plusieurs programmes au Honduras. Certaines agences ont servi ailleurs de bras civil à des opérations de propagande, de formation et de subversion. La rumeur d'un coup d'État a couru dès le 24 juin. Qu'a fait l'ambassadeur pour dissuader les putschistes de recourir à cette solution?
Des questions
Le coup d'État est condamné à l'échec. La communauté internationale a démontré un soutien unanime au président Zelaya, isolant ainsi les putschistes. L'esprit des résolutions était que son retour se fasse sans conditions préalables. Le régime illégal tient tête à la communauté internationale et aux manifestations internes de soutien au président déchu. Comment amener les putschistes à la raison? Par des promesses d'immunité, par l'exil des principaux chefs, par des pressions multiples et combinées? Le Venezuela a coupé ses livraisons de pétrole, plusieurs pays ont rappelé leurs ambassadeurs. Les États-Unis ont suspendu certaines formes d'assistance, mais disposent de plusieurs leviers décisifs. On voit mal comment le régime pourrait se maintenir longtemps au pouvoir.
Il faut donc croire que Manuel Zelaya sera restauré dans ses fonctions. Il a déclaré en conférence de presse à New York qu'il n'accepterait pas un second mandat. C'était un argument massue de la désinformation entourant l'opposition à la consultation. Le président Zelaya reviendra auréolé, avec un prestige accru. Sa base sociale sortira élargie de cette épreuve, mais le pays se retrouvera encore plus polarisé. Face à tous les pouvoirs qui l'ont rejeté, quel sera son pouvoir effectif jusqu'à janvier 2010? Un candidat à la succession pourra-t-il poursuivre l'oeuvre entreprise? Ou le Honduras oligarchique aura-t-il stoppé pour un temps cette marche vers un Honduras moins inégalitaire, plus démocratique?