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31 janvier 2011 1 31 /01 /janvier /2011 00:17

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De l’égalité des races humaines

COMAGUER

Antenor Firmin (1850-1911) avocat, journaliste et homme politique haïtien est nommé diplomate à Paris en 1883. Il est accueilli par la société d’anthropologie de Paris et participe activement à ses travaux.

Mais il constate bien vite que les savants renommés qui animent cette société utilisent leur notoriété scientifique pour conforter au mépris de toute démarche rationnelle la principale base idéologique du colonialisme : l’inégalité des races.

Il va donc réagir en haïtien, citoyen de ce qui est encore à l’époque la seule République noire au monde et entreprend de démontrer dans un ouvrage solide et documenté l’égalité des races humaines.

Son livre parait en 1885 deux ans avant le Congrès de Berlin qui va donner lieu au découpage du continent africain entre les colonisateurs européens. Sa compréhension du rôle central de l’idéologie raciste dans le colonialisme éclate dans le chapitre XVI comme en témoigne l’extrait qui suit .

Relire ANTENOR FIRMIN en cette année où se commémore le soixantième anniversaire de la mort de FRANTZ FANON*, où le néocolonialisme martyrise encore et toujours Haïti, et où l’étranglement de la République Cubaine par les Etats-Unis se poursuit avec une volonté de mise à mort qui n’a jamais faibli, permet de saisir l’immense apport des peuples caribéens à la cause du progrès général de l’humanité.

On relira avec un frisson d’effroi la phrase de SPENCER (en gras) qui souligne que la principale opposition philosophique et politique à ce progrès général vient de ceux qui se considèrent soit comme des peuples élus soit comme des peuples dépositaires d’une destinée manifeste.

*voir sur le blog comaguer le texte de Frantz Fanon sur la décolonisation

A Port au prince comme à Guantanamo et à Gaza cette phrase résonne, aujourd’hui encore, de façon sinistre.

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Frantz Fanon
Antenor-firmin
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ANTENOR FIRMIN
De l’égalité des races humaines
Anthropologie positive
1885

(Réédition l’Harmattan 2003)

Extrait de chapitre XVI

La solidarité européenne

C’est un caractère particulier de la civilisation moderne que les actions politiques et nationales, de même que les actions individuelles et privées, ont communément besoin d’une justification morale ou scientifique, sans laquelle les acteurs ne se sentent pas la conscience tranquille. Hypocrite, subtil parfois est le raisonnement dont ils tirent leurs règles de conduite ; mais est-ce l’indice d’un certain respect de la justice et de la vérité éternelles, auxquelles on rend hommage alors même qu’on les élude ? Pour légitimer les prétentions européennes, il a bien fallu mettre en avant une raison qui les justifiât. On n’a pu en imaginer une meilleure que celle qui s’appuie sur la doctrine de l’inégalité des races humaines. D’après les déductions tirées de cette doctrine, la race blanche, étant unanimement reconnue supérieure à toutes les autres, a pour mission de dominer sur elles, car elle est seule capable de promouvoir et de maintenir la civilisation. Elle en est devenue le porte-étendard élu et consacré par les lois mêmes de la nature !

Cette doctrine est-elle née d’une inspiration purement platonique ? Nullement Elle est le résultat du plus affreux égoïsme, usurpant le nom de la civilisation, adultérant les plus belles notions de la science, pour en faire les soutiens des convoitises matérielles, les moins respectables du monde. Les peuples européens heureux d’être parvenus les premiers à un degré de développement qui leur garantit actuellement une supériorité incontestable sur le reste des nations, ne voient en dehors de l’Europe que des pays et des hommes à exploiter. Trouvant trop étroit le terrain où ils sont nés et doivent vivre, ils recherchent, avec une insatiable ardeur, des territoires plus vastes, où puissent se réaliser leurs rêves de déployer à l’infini leurs immenses ressources et d’augmenter de plus en plus leurs richesses, sans qu’aucune difficulté les vienne contrarier. Partout et chaque jour, se manifeste davantage en Europe cette soif de coloniser qui est devenue insensiblement la passion dominante de la politique. Cette aspiration grandissante à s’emparer de territoires étrangers, habités par des regnicoles qui ont possédé depuis une époque immémoriale la terre où sont plantées leurs tentes, où sont établies leurs huttes, terre mille fois sacrée pour eux, parce qu’elle contient le dépôt précieux des cendres de leurs pères, a quelque chose de souverainement brutal. Elle ne cadre pas le mieux du monde avec la moralité du siècle et les prescriptions du droit des gens dont elle est la négation positive. De là la nécessité de recourir à la casuistique et d’éluder le droit par une considération arbitraire des faits.

Le droit naturel, le droit des gens ne s’élève contre les usurpations politiques ou sociales, que parce qu’il admet comme premier principe l’égalité de tous les hommes, égalité théoriquement absolue, intégrale, qui impose à chacun l’obligation de respecter aussi religieusement son semblable qu’il se respecte lui-même, tous ayant la même dignité originelle attachée à la personne humaine. L’égalité de droit ne pourrait se maintenir comme une pure abstraction, n’ayant aucune corrélation avec les faits. Toutes les lois générales de la sociologie, quelque élevée qu’en puisse être la notion, doivent infailliblement se relier à une loi biologique qui leur serve de base et leur crée une racine dans l’ordre des phénomènes matériels. Ainsi que nous l’avons vu ailleurs, la base de l’égalité de droit, entre les hommes, ne saurait être autre chose, que la croyance aprioristique en leur égalité naturelle. Il a donc suffi à la conscience européenne de supposer les autres races humaines inférieures à celles de l’Europe, pour que tous les principes de justice aient perdu leur importance et leur mode d’application ordinaire, à chaque occasion où il s’agit d’empiéter sur les domaines de ces races déshéritées. Ce biais est d’une commodité incomparable et prouve la fine adresse du Caucasien. Sans doute, les choses ne se divulguent pas clairement. Ceux qui s’occupent des questions anthropologiques, ou même philosophiques, semblent ne se préoccuper aucunement de la portée juridique des théories ou des doctrines qu’ils préconisent ; mais au fond tout s’enchaîne. Plus d’une fois, l’homme d’Etat, acculé par des interpellations difficiles et pressantes, s’abattra soudain sur des théories scientifiques qui semblent être si étrangères à sa sphère d’activité.

Toutes les fois qu’on se trouve donc en présence d’Européens discutant la question scientifique de l’égalité ou de l’inégalité des races humaines, on a en face des avocats défendant une cause à laquelle ils sont directement intéressés. Encore bien qu’ils aient l’air de se placer sous l’autorité de la science et de ne plaider qu’en faveur de la pure vérité ; alors même qu’ils se passionnent pour leur thèse jusqu’à faire abstraction du mobile positif qui les y maintient, leurs argumentations se ressentent toujours de l’influence que subit l’avocat plaidant pro domo sua. Argumentant dans un sens contraire, peut-être ne fais-je rien autre chose que céder à la même impulsion. La réciproque est vraie, pourrait-on dire ; mais cela ne détruit point le fait à démontrer. Or, il est constant que l’une des causes d’erreur qui agit le plus puissamment sur l’intelligence des philosophes et des anthropologistes, soutenant la thèse de l’inégalité des races, c’est l’influence ambiante qu’exercent sur elle les aspirations envahissantes et usurpatrices de la politique européenne, aspirations dont l’esprit de domination et la foi orgueilleuse en la supériorité de l’homme de type caucasien sont la source principale.

La plupart de ceux qui proclament doctoralement que les races humaines sont inégales - que les Noirs, par exemple, ne parviendront jamais a réaliser la civilisation la plus élémentaire, à moins qu’ils ne soient courbés sous la férule du Blanc -, arrondissent le plus souvent leurs phrases aux périodes sonores, en pensant à une colonie qui leur a échappé ou à une autre qui ne leur reste qu’en réclamant audacieusement l’égalité de conditions politiques entre noirs et blancs. On ne renonce pas facilement à l’antique exploitation de l’homme par l’homme : tel est pourtant le principal mobile de toutes les colonisations, soutenu par le besoin que les grandes nations industrielles éprouvent d’étendre sans cesse leur rayon d’activité et d’augmenter leurs débouchés. Économistes, philosophes et anthropologistes deviennent ainsi des ouvriers de mensonge, qui outragent la science et la nature, en les réduisant au service d’une propagande détestable. En fait, ils ne font que continuer, dans le monde intellectuel et moral, l’œuvre abominable que les anciens colons exerçaient si bien en abrutissant l’esclave jaune ou noir par l’éreintement matériel. Combien de travailleurs, en effet, ne se laisseront pas gagner par un pénible et sombre découragement, en lisant les sentences absolues prononcées par les plus grands esprits contre les aptitudes du Nigritien ! Combien d’intelligences naissantes, au sein de la race éthiopique, ne se laisseront pas endormir au souffle mortifère des phrases sacramentelles d’un Renan, d’un de Quatrefages ou d’un Paul Leroy-Beaulieu ! Ces savants ont-ils conscience de leur malheureuse complicité ? Personne ne le sait, personne ne peut le savoir. Ce que l’homme pense dans son for intérieur sera éternellement un mystère pour les autres hommes. Cependant il y a un fait positif, c’est que toutes les tendances colonisatrices de la politique européenne les entraînent dans un courant d’idées où l’égoïsme de race doit dominer fatalement, de plus en plus, les pensées et les inspirations individuelles. Ces tendances renforcent chaque jour les préjugés d’une sotte hiérarchisation ethnique, plutôt que de les laisser tomber dans un relâchement que l’absence de tout intérêt actuel produirait infailliblement et naturellement. De même que la majorité de leurs congénères, ils ne pourraient s’affranchir d’une telle influence qu’en tant que leur esprit serait suffisamment prémuni contre elle. Pourtant tout se réunit de manière à ce qu’ils soient difficilement désabusés. En effet, l’axe de la politique européenne semble tourner vers l’Asie et l’Afrique. Toutes les ambitions s’entrechoquent, allant à la recherche d’un terrain propre à leur agrandissement commercial, c’est une course insensée et bizarre, bien ressemblante à celle de Jérôme Paturot à la recherche ’d’une position sociale ! C’est à qui, des peuples de l’Europe, aura la plus grande part dans cette curée où l’on se précipite avec avidité.

L’Afrique, peuplée de Noirs, semble être de si bon droit accessible aux conquêtes de l’Européen, que rien ne repousse les prétentions de ceux qui veulent s’y procurer un lopin de terre, au détriment de l’indigène. L’homme noir n’est-il pas d’une race inférieure ? N’est-il pas destiné à disparaître de la surface du globe, afin de faire place à la race caucasique, à laquelle Dieu a donné le monde en héritage, comme, dans le mythe biblique, il le donna aux descendants d’Israël ? Tout se fait donc pour le mieux, à la plus grande gloire de Dieu !

Les idées que j’esquisse légèrement ici ne sont nullement le produit de ma seule imagination. C’est le résultat d’une théorie qui est tellement répandue parmi les Européens que les esprits les plus philosophiques n’ont pu échapper à sa prestigieuse inspiration. Il serait peut-être étonnant de voir un homme de la trempe de M. Herbert Spencer y céder comme tous les autres et y compromettre, sans hésiter, sa réputation de profonde clairvoyance. Cependant, il va plus loin que personne, en affirmant le droit d’extermination qu’a l’Européen contre tous ceux qui résistent-à son envahissement. Dans son traité de Morale évolutionniste, qui est le couronnement de ses principes philosophiques et scientifiques, on lit les paroles suivantes :

« Si l’on dit qu’à la manière des Hébreux qui se croyaient autorisés à s’emparer des terres que Dieu leur avait promises, et dans certains cas, à en exterminer les habitants, nous aussi, pour répondre à "l’intention manifeste de la Providence", nous dépossédons les races inférieures, toutes les fois que nous avons besoin de leurs territoires, on peut répondre que, du moins, nous ne massacrons que ceux qu’il est nécessaire de massacrer et laissons vivre ceux qui se soumettent. » (1)

Il est curieux de constater à quelle conséquence la doctrine de l’inégalité des races a pu amener l’esprit le mieux fait, l’intelligence la mieux équilibrée ; mais c’est une nouvelle preuve de la puissance de la logique. On ne s’en écarte, dans la science comme en tout, que pour tomber dans les erreurs les plus grossières, les théories les plus insensées ! L’Asie, avec des peuples en possession d’une civilisation mille fois séculaire, mais vieillie et décrépite dans une stagnation malheureuse, ne tente pas moins les convoitises de la race caucasique. Là aussi, elle se croit appelée à tout régénérer ; non par un commerce régulier, non par un échange d’idées et de bons procédés qui profiteraient admirablement aux fils de l’extrême Orient, mais en s’imposant comme des maîtres, de vrais dominateurs. Pour encourager l’esprit public dans l’acceptation et l’exécution de ces entreprises lointaines et chanceuses, n’y a-t-il pas la théorie de l’inégalité des races ? N’est-ce pas la destinée des peuples blancs de gouverner le monde entier ? Toute l’Europe n’est-elle pas devenue héritière des grandes destinées de Rome ?

Tu regere imperio populos, Romane, memento !

Aussi combien enchevêtrée ne se trouve pas la politique européenne dans toutes ces convoitises sur l’Asie et l’Afrique, que le langage parlementaire a décorées du nom élégant de question d’Orient ! C’est la civilisation occidentale qui agit, mais tous ses efforts sont tournés vers le monde oriental. Chaque incident qui se produit en Asie ou en Afrique a son contrecoup parmi les nations de l’Europe qui, chacune pour un motif, y sont directement ou indirectement intéressées. La seule question égyptienne, par exemple, réunit les intérêts les plus complexes, tenant en haleine le monde ottoman, le monde slave, le monde germanique, ainsi que le monde latin.

« L’Egypte, dit Emilio Castelar, est pour les Turcs une portion de leur empire ; pour les Autrichiens, une ligne qu’il leur convient d’observer à cause de leurs possessions dans la mer Noire et dans la mer Adriatique ; pour les Italiens, c’est une frontière que la sécurité indispensable de leur belle Sicile et leur constante aspiration à revendiquer Malte et à coloniser ainsi Tripoli et Tanis leur font l’obligation de tenir à l’abri de tout obstacle ; pour la grande et puissante Allemagne, dont l’orgueil ne veut point perdre son hégémonie dans le monde européen, elle est une question continentale et extra continentale ; pour la Russie, qui songe, en Europe, à une Byzance grecque et, en Asie, à une route terrestre vers l’Inde, c’est une question européenne ; pour l’Espagne, le Portugal, la Hollande, c’est la clef de leurs voyages aux divers îles et archipels où flottent encore leurs drapeaux respectifs ; pour tous, en ce moment d’horrible angoisse, c’est la question par excellence, puisqu’elle porte dans ses innombrables incidents la paix à la chaleur de laquelle fleurissent le travail, le commerce et la liberté, ou la guerre implacable dont les commotions épouvantables entraînent et répandent dans le monde la désolation et l’extermination avec leur funèbre cortège de catastrophes.

« Mais, à la vérité, la question égyptienne est plus spécialement une question anglo-française (2) ••• »

Le Madhi ne se figure pas le rôle qu’il joue dans les ressorts de la politique européenne, avec sa propagande religieuse et l’esprit de fanatisme qu’il inspire à ses adeptes du Soudan. A la prise de Khartoum et à la nouvelle de la mort du général Gordon, les journaux de l’Europe (3) n’ont-ils pas déclaré que, tout en reconnaissant les fautes du gouvernement britannique et la grande part de responsabilité de l’illustre M. Gladstone, le vétéran du parti libéral anglais, il fallait agir de manière à sauver le prestige de la civilisation, en venant en aide à l’égoïste Albion ? N’est-ce pas toujours la question de race qui domine en ces élans de solidarité, mais qui, édulcorée par le miel du parlementarisme, se change en question européenne, en la cause de la civilisation ? L’Angleterre a dû évacuer le Soudan, car la France est occupée ailleurs ; l’Italie est plus présomptueuse que puissante ; l’Allemagne ruse ; la Russie se heurte aux frontières de l’Afghanistan : mais on est tellement contrarié, que chacun menace de reprendre l’œuvre qui s’est brisée entre les mains de l’anglais. Aussi comprend-on bien que la théorie de l’inégalité des races humaines ait facilement trouvé dans un tel état des esprits un ensemble de raisons, un appui qui ne se dément jamais ! (4)

1. Herbert Spencer, Les bases de la morale évolutionniste, p. 206.

2. Emilio Castelar, Las guerras de América y Egypto. Madrid, 1883, p. 120-121.

3. « Que l’Occident serre les rangs ! » s’écrie M. John Lemoine dans le Journal des Débats du 10 fév. 1885. Toute la presse européenne a fait écho à cette espèce de consigne.

4- Note Comaguer : l’année où Antenor Firmin publie son livre, le Mahdi vient de prendre le pouvoir à Khartoum après avoir défait les troupes britanniques de Gordon. Albion ne reprendra le contrôle du Soudan que quatre ans plus tard. Surtout soucieuse de surveiller la Mer Rouge qui lui assure l’accès à l’empire des Indes elle y installera un simple protectorat sous la forme d’un condominium anglo-égyptien.

 

Complété d'un texte posté sur le grand soir :

 

29/01/2011 à 22:17, par Jacques-François Bonaldi

Cela peut sans doute vous intéresser de savoir ce petit détail historique qui en dit long sur les deux hommes (si vous ne le saviez pas déjà) :

Le 9 juin 1893, alors en voyage à Cap-Haïtien dans le cadre de ses préparatifs de la guerre d’Indépendance, José Martí, logé chez Ulpiano Dellunde, écrit à un ami de New York qu’il a rencontré "un Haïtien extraordinaire", Antenor Firmin. (Obras Completas, t.2, p. 354). Dommage que Martí n’ait rien écrit (du moins, à ce jour) sur ce Firmin, dont, compte tenu de ce qu’on lit de lui sur les "races" et le racisme,il partageait les idées. Je ne résiste pas au plaisir de vous reproduire une traduction de premier jet d’un article écrit par Martí, curieusement à peine deux mois avant sa rencontre avec Antenor Firmin. Il s’agit bien entendu d’un écrit "politique" qui s’adresse aux Cubains pour lesquels le Noir était une menace ou un obstacle dans la prochaine République :

« MA RACE »

Raciste est un mot confus, et il convient de l’éclaircir. L’appartenance à telle ou telle race ne donne aucun droit spécial : qu’on dise homme, et l’on dit tous les droits. Le Noir, parce que Noir, n’est inférieur ni supérieur à aucun autre homme. Le Blanc qui dit « ma race » pèche par redondance ; le Noir qui dit « ma race » pèche par redondance. Tout ce qui divise les hommes, tout ce qui les spécifie, les exclut ou les parque est un péché contre l’humanité. Quel Blanc sensé aurait-il l’idée de se vanter d’être Blanc, et que pensent les Noirs du Blanc qui se vante de l’être et qui croit avoir des droits spéciaux du simple fait de l’être ? Que doivent penser les Blancs du Noir qui se vante de sa couleur ? Mettre l’accent sur les divisions de race, sur les différences de race d’un peuple naturellement divisé, c’est rendre difficile le bonheur public et le bonheur individuel qui consistent dans le plus grand rapprochement des facteurs qui doivent vivre en commun. Si l’on dit que le Noir ne souffre pas de faute aborigène ni de virus qui l’invalide pour épanouir toute son âme d’homme, on dit la vérité, et il faut la dire et la prouver, parce qu’il y a beaucoup d’injustice en ce monde, et beaucoup d’ignorance chez ceux-là qui passe pour de la sagesse, et d’aucuns croient encore de bonne foi que le Noir est incapable d’avoir l’intelligence et le cœur du Blanc ; et si l’on taxe cette défense de la nature de racisme, peu importe qu’on la taxe de la sorte, parce que ce n’est rien d’autre que de la dignité naturelle, et une voix qui clame depuis la poitrine de l’homme en faveur de la paix et de la vie du pays. Si l’on allègue que la condition servile n’accuse pas de l’infériorité chez la race esclave, car les Gaulois blancs, aux yeux bleus et aux cheveux d’or, furent vendus comme des serfs, l’anneau au cou, sur les marchés de Rome, c’est là du bon racisme, parce que ce n’est que pure justice et que cela aide à ôter ses préjugés au Blanc ignorant. Mais là termine le racisme juste, qui est le droit du Noir à maintenir et à prouver que sa couleur ne le prive d’aucune des capacités et d’aucun des droits de l’espèce humaine.

Le raciste blanc, qui croit que sa race a des droits supérieurs, de quel droit se plaint-il du raciste noir qui verrait aussi une spécialité à sa race ? Le raciste noir, qui voit en sa race un caractère spécial, de quel droit se plaint-il du raciste blanc ? L’homme blanc qui, du fait de sa race, se croit supérieur à l’homme noir admet l’idée de la race et autorise et provoque le raciste noir. L’homme noir qui proclame sa race, alors qu’il ne proclame peut-être dans cette forme erronée que l’identité spirituelle de toutes les races, autorise et provoque le raciste blanc. La paix demande les droits communs de la Nature ; les droits différentiels, contraires à la Nature, sont des ennemis de la paix. Le Blanc qui s’isole isole le Noir. Le Noir qui s’isole incite le Blanc à s’isoler.

À Cuba, il n’existe pas la moindre crainte d’une guerre de races. Homme veut dire plus que Blanc, plus que métis, plus que Noir. Cubain est plus que Blanc, plus que métis, plus que Noir. Les âmes des Blancs et des Noirs mourant pour Cuba sur les champs de bataille se sont élevées ensemble dans les airs. Dans la vie quotidienne de défense, de loyauté, de fraternité, d’astuce, il y a toujours eu, aux côtés de chaque Blanc, un Noir. Les Noirs, à l’instar des Blancs, se divisent selon leurs caractères, timides ou vaillants, dévoués ou égoïstes, dans les partis divers où se groupent les hommes. Les partis politiques sont des agrégats de préoccupations, d’aspirations, d’intérêts et de caractères. L’on cherche et l’on trouve la ressemblance essentielle au-delà des différences de détail ; et le fondamental des caractères analogues se fond dans les partis, quand bien même ils différeraient dans ce qui est incident ou dans ce qu’on peut renvoyer à des mobiles communs. Mais c’est en fin de compte la ressemblance des caractères, supérieure en tant que facteur d’union aux relations internes d’une couleur d’hommes graduée, et parfois opposée dans ses grades, qui décide et qui prime dans la formation des partis. L’affinité des caractères est plus puissante parmi les hommes que l’affinité de la couleur. Les Noirs, distribués dans les spécialités diverses ou hostiles de l’esprit humain, ne pourront jamais se liguer ni ne désireront jamais se liguer contre le Blanc, distribué dans les mêmes spécialités. Les Noirs sont trop las de l’esclavage pour entrer volontairement dans l’esclavage de la couleur. Les hommes de pompes et d’intérêts iront d’un côté, Blancs ou Noirs ; et les hommes généreux et désintéressés iront de l’autre. Les hommes véritables, Noirs ou Blancs, se traiteront avec loyauté et tendresse pour le goût du mérite et pour l’orgueil de tout ce qui honore la terre où nous sommes nés, Noir ou Blanc. Le mot raciste tombera des lèvres des Noirs qui l’usent aujourd’hui de bonne foi quand ils comprendront qu’il est le seul argument apparemment valide, et uniquement chez des hommes sincères et craintifs, pour nier au Noir la plénitude de ses droits d’homme. Le raciste blanc et le raciste noir seraient tout autant coupables de racistes. De nombreux Blancs ont d’ores et déjà oublié leur couleur, et de nombreux Noirs. Blancs et Noirs œuvrent ensemble pour cultiver l’esprit, propager la vertu, faire triompher le travail créateur et la charité sublime.

À Cuba, il n’y aura jamais de guerres de races. La République ne peut rebrousser chemin ; et la République, dès le jour unique de rédemption du Noir à Cuba, dès la première Constitution de l’indépendance, le 10 avril à Guáimaro, n’a jamais parlé de Blancs et de Noirs. Les droits publics, concédés par pure astuce par le gouvernement espagnol et débutés dans les mœurs avant l’indépendance de l’île, ne pourront plus être niés ni par l’Espagnol qui les maintiendra tant qu’il respirera à Cuba pour continuer de diviser le Cubain noir du Cubain blanc, ni par l’indépendance qui ne pourrait nier dans la liberté les droits que l’Espagnol a reconnus dans la servitude.

Et, pour le reste, chacun sera libre dans ce que le foyer a de sacré. Le mérite, la preuve patente et continue de culture, et le commerce inexorable finiront par unir les hommes. À Cuba, il y a beaucoup de grandeur chez les Noirs et chez les Blancs.

« Mi raza », Patria, New York, 16 avril 1893, in O.C., t. 2, pp. 298-300.

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