Carlos Aznárez et le Commandant Ricardo Téllez (Rodrigo Granda)
Carlos Aznárez
Traduit par Pascale Cognet
Edité par Fausto Giudice فاوستو جيوديشي
"Il est toujours dangereux de dialoguer sous le feu. Il y a un risque énorme à tenter de parler sous les balles et les bombardements."
A-t-il été difficile d’arriver à l’étape actuelle ? Comment se sont déroulées les premières conversations exploratoires ?
Ce chemin n’a pas été simple, parce que nous venons d’une guerre assez dure, de huit ans avec Monsieur Uribe et deux ans avec Juan Manuel Santos. Dès que le président Santos a pris ses fonctions, il a envoyé une lettre au Secrétariat des FARC, disant que ce nous proposions dans l’agenda de la Nouvelle Colombie bolivarienne pouvait être débattu, mais que les formes de lutte que nous utilisions étaient dommageables pour le pays. De toute façon, il reconnaissait l’existence d’un conflit en Colombie, ce qu’Uribe n’acceptait pas.
C’est à partir de ce moment qu’a commencé un échange épistolaire, qui a abouti à une réunion en Colombie, suivie de rencontres dans d’autres régions hors de Colombie, pour finir à Cuba, par des réunions que nous avons qualifiées de « discrètes et secrètes » pendant six mois, jusqu’à ce jour.
Pendant longtemps, pour votre part, à la différence de l’ELN, vous avez insisté pour que les conversations aient lieu en Colombie. Qu’estce qui vous a conduit à changer d’avis?
Rappelez-vous qu’il y a bien longtemps, sous le gouvernement Gaviria, nous avons dialogué à Caracas, puis à Mexico. Nous ne faisons pas du lieu une question de principes mais pour nous le plus important ce sont les fondements et la confiance pour envisager les dialogues.
Combien de temps vont durer les délibérations à Oslo?
A Oslo, il ne s’agit que de la mise en place de la table, nous y délibérerons deux ou trois jours au maximum, et ensuite nous discuterons à la Havane de l’essentiel. Nous nous sommes également mis d’accord pour que d’autres réunions puissent avoir lieu dans d’autres pays [L’Argentine ou le Brésil ne sont pas exclus, NdR] en fonction du déroulement des discussions.
Quelles sont les raisons qui vous font penser que l’establishment colombien a besoin en ce moment précisément d’envisager la paix?
Ils ont fait avancer de toutes leurs forces le Plan Colombie. L’idée était de nous exterminer en quatre ans, physiquement. C’est à dire de démontrer au monde que la guérilla pouvait être anéantie par cette voie militaire. Ces quatre premières années de Monsieur Uribe n’ont pas porté leurs fruits là où il le prétendait. Il a obtenu quatre années supplémentaires grâce à sa réélection et 12 milliards de dollars de plus ont été investis dans la guerre en Colombie. Il y a une présence usaméricaine, un personnel israélien et britannique et issu d’autres puissances impliquées dans la guerre contre le peuple colombien. Ils avaient parlé de "post-conflit" et il se trouve que l’on ne voit nulle part la trace de ce qu’ils avaient évoqué. Nous avons une guérilla forte, bien équipée, qui évidemment a subi quelques coups durs mais qui a su s’adapter, avec beaucoup de facilité, aux nouvelles formes que prend la guerre en Colombie.
Cependant, Juan Manuel Santos insiste sur le fait que les FARC sont acculées, car les derniers coups les ont affaiblies et c’est précisément pour cela que vous venez à la table des négociations.
Certainement pas. Un des principes de la guerre, c’est que l’on ne discute pas avec les vaincus. Si moi, je gagne la guerre et je soumets l’ennemi, pourquoi irai-je dialoguer ? Cela n’a aucun sens. Ces hypothèses sont le pur fruit de leur imagination, mais chaque jour, la réalité leur prouve qu’ils se trompent. La confrontation armée aujourd’hui peut encore durer 20 ou 30 ans de plus et cela les hauts commandements militaires le savent bien, ils l’ont dit au cours des réunions au Palais. C’est cela qui les a obligés à réfléchir sur la nécessité de trouver d’autres voies pour mettre fin à la guerre. Au regard de cette situation, nous nous sommes risqués à suggérer au gouvernement qu’il serait important de mettre fin au carnage généré par le conflit, notre intérêt est de construire la paix, mais une paix dans la dignité, la justice sociale, qui prendrait en compte les problèmes du peuple colombien.
La guérilla ne demande rien pour elle, nous n’attendons rien de l’establishment. Nous nous sommes mobilisés pour des raisons altruistes et pour que le pays et le continent puissent vivre en paix.
Ne pensez-vous pas qu’il pourrait y avoir une autre façon d’envisager les choses? Je m’explique : Le président Santos envisage la possibilité de sa réélection très prochainement, et il sait, lui, que si ces conversations sont positives, il peut devenir un porte-drapeau de la paix et légitimer ainsi son désir de continuer à gouverner.
La paix a beaucoup de partisans et il est indubitable qu’en Colombie elle fait naître une ferveur extraordinaire. On sent la ferveur d’un véritable plébiscite international qui dynamisera ces dialogues. N’oublions pas que ce conflit est le plus long qu’ait connu l’hémisphère occidental. Il est évident que celui qui hissera les drapeaux de la paix en ce moment, peut aspirer non seulement à être réélu mais aussi à rentrer dans l’histoire comme celui qui aura tout mis en œuvre pour que son peuple vive mieux. Voilà le défi qui s’offre au Président. S’il veut œuvrer pour l’histoire, il a une véritable opportunité, mais l’establishment dans son ensemble doit se préparer à faire quelques concessions que les FARC ont toujours réclamées parce qu’il y a deux parties en jeu dont aucune n’est encore sortie victorieuse.
Quelle différence y-a-t-il entre ces conversations qui vont débuter et les précédentes qui ont eu lieu à d’autres moments de la confrontation?
Le Président bénéficie actuellement d’un soutien très important au niveau national et d’un contexte latino-américain différent de celui qui existait au cours des dialogues du Caguán. On voit en même temps qu’il y a un soutien plus fort de la part des USA pour éviter que la guerre ne continue en Colombie. N’oublions pas que ce sont eux qui ont été les appuis de cette guerre et s’ils cessent de mettre de l’huile sur le feu, on pourra certainement progresser aussi. On peut voir également que Monsieur Le Président intègre déjà le haut commandement militaire en faisant participer aux conversations quelques officiers de haut rang. Il y a également des représentants des corporations économiques, qui savent qu’avec un effort et en tenant compte de tous les facteurs qui ont généré le conflit et en y apportant des solutions, on peut s’acheminer vers un processus de paix. Voilà pourquoi nous considérons qu’il existe quelques différences qui nous permettent de miser sur une chance plus importante que dans les occasions précédentes.
Quelle influence peut avoir dans ce contexte, le discours que profère Alvaro Uribe, en opposition à ces conversations?
Ce secteur est minoritaire, actuellement, il représente environ 18% de la population. C’est un discours totalement archaïque, rempli de haine, d’esprit de vengeance et de représailles. Ce sont des fanatiques de la guerre, mais cela ne nous préoccupe pas trop, en effet chaque jour davantage, le peuple colombien prend conscience de ce qu’ils ont été les promoteurs de cette violence. Avec Uribe, ces secteurs, qui sont extrêmement dangereux, se repositionnent. En soutenant les dialogues - c’est du moins ce qu’a dit le Département d’Etat- les USA montrent qu’ils prennent un peu leurs distances de Monsieur Uribe, et qui peut être mieux placé que les gringos pour donner ce signal ? Ils ont tous les dossiers dont celui qui récapitule ce qu’a été Uribe depuis qu’il a débuté dans la politique
colombienne. Il figure au 82ème rang de la liste [de narcotrafiquants, NdE] de la DEA.
Revenons au cessez-le-feu : s’il ne se produisait pas, et si les actions militaires menées par le gouvernement Santos augmentent, ne pensez-vous pas ces conversations risquent d’être sérieusement compromises?
Il est toujours dangereux de dialoguer sous le feu. Il y a un risque énorme à tenter de dialoguer sous les balles et les bombardements. Nous ne sommes pas en train de réclamer un cessez-le-feu en ce moment, nous avons juste suggéré que nous devrions éviter au pays davantage de morts. Le gouvernement a répondu par la négative, ils vont poursuivre les bombardements et les opérations militaires. C’est donc une obligation pour la guérilla de se défendre. Nous avons insisté, pour notre part, sur notre volonté d’éviter plus de souffrance, mais, il semble que le gouvernement considère que de cette façon nous aurions un avantage militaire. Si ce n’était la tragédie que cela signifie pour le peuple colombien, cela prêterait à rire. Pourtant, il est indubitable que la vie de ses propres soldats n’a pas beaucoup d’importance pour l’establishment ; ainsi que celle du peuple mise en danger par la guerre. Ils considèrent que le cessez-le-feu doit être un aboutissement, et nous, nous pensons que la mobilisation permanente du peuple et la pression internationale également pourraient contribuer à l’arrêt de l’affrontement armé entre les deux parties, sans donner l’avantage à l’une ou à l’autre.
Timochenko l’a dit et il faudrait interpréter cela négativement. Rien que pour réussir maintenant à nous mettre d’accord sur un agenda, il nous a fallu deux ans. Cette guerre dure depuis 60 ans, pour cette raison, il nous semble que le Président s’avance un peu trop en disant cela et en considérant que le conflit peut se régler du jour au lendemain. La vie est beaucoup plus complexe que n’importe lequel des sujets que l’on propose dans l’agenda. Les meilleurs plans peuvent échouer. Alors, nous allons regarder attentivement chaque point de l’agenda, construire petit à petit, sans pauses mais sans hâte, comme l’a dit un ex-président de la République. Il ne s’agit pas ici de courir le cent mètres mais d’arriver à des accords et que le pays et le monde voient que cela vaut la peine de dialoguer. Nous ne sommes pas disposés à travailler contre la montre, nous ne sommes pas aux Jeux olympiques qui viennent de se terminer.
Quel sens donnez-vous à l’expression, “laisser les armes”, qui figure dans l’accord cadre pour entamer les dialogues?
La phrase a plusieurs interprétations possibles. Nous avons dit que si les portes de la paix s’ouvrent, si l’on réalise de nombreux changements, si l’on respire un nouvel air, les armes, en fin de compte, ne sont que des bouts de ferraille, que l’on peut faire taire à un moment donné. Ce que l’on ne peut effacer, ce sont les idées que chaque combattant a en tête. Les armes, du moment qu’il n’y a pas d’hommes disposés à s’en servir, ne peuvent pas le faire toutes seules. Elles servent pour défendre le peuple contre la tyrannie afin d’éviter l’esclavage. Ces armes ont permis maintenant au pays d’entrevoir enfin la paix tant désirée.
Vous avez pris les armes pour dénoncer un ordre injuste (c’est ce que disaient vos communiqués fondateurs). Qu’est-ce qui vous fait penser maintenant qu’à cette table de négociations, vous pourrez obtenir ce qui vous a été refusé pendant toutes ces années d’insurrection armée ?
Nous avons dit que nous n’allons pas dialoguer pour qu’on nous fasse la Révolution par contrat. Il ne s’agit pas de faire la Révolution à une table de négociations. Nous prétendons qu’il y a ici deux parties qui s’opposent, avec des critères de nature antagonique. Nous disons également : vous nous avez obligés à prendre les armes, vous avez cherché par tous les moyens à nous éliminer et vous n’y avez pas réussi. L’essence même de la guerre, c’est de soumettre la volonté de lutte du rival, et cela non plus, l’État colombien n’y est pas parvenu et il n’y parviendra pas. C’est pourquoi, nous disons au Président Santos : si vous faites une ouverture et si vous édifiez un nouveau pays, on peut faire taire les armes et chercher par d’autres voies à faire aboutir nos revendications. Nos fondateurs l’ont dit en 1964, nous voulions prendre le pouvoir par la voie pacifique, mais on nous a répondu par la violence. Comme nous sommes des révolutionnaires, d’une façon ou d’une autre, nous devons accomplir notre devoir, nous prenons les armes jusqu’à ce que nous obtenions des changements dans le pays. Si les changements s’amorcent, alors nous participons à la politique, puisque les armes n’ont aucun rôle à jouer dans ce domaine. Ce système colombien est si fermé, que cela fait honte, comparativement à d’autres pays du continent et du monde.
Un des points cruciaux de l’accord cadre qui sera discuté lors des conversations, c’est le problème de la terre. Quelles sont les propositions des FARC pour régler la situation des paysans colombiens ?
Nous nous sommes engagés sur l’honneur pour que quelques-uns des points soient discutés à la table des négociations. Nous débuterons la discussion par le problème de la terre et du développement agricole. C’est pour cela que pour le moment nous ne pouvons pas parler de ce qui va être débattu à la table des discussions. En plus de recueillir les avis des organisations agraires, paysannes, indigènes et afro-descendantes, il nous incombe de proposer une vision très concrète et nous avons des suggestions à faire. Les organisations liées aux problèmes ruraux devront participer aux discussions, mais en plus de cela, il faudra voir la question de la santé, de l’éducation, du logement, de l’écologie et tout le problème de la terre.
Allez-vous exiger la réforme agraire?
La Colombie est le seul pays d’Amérique Latine où il n’a jamais été réalisé de réforme agraire. 87% des meilleures terres sont concentrées entre les mains de 4% de propriétaires. Les grandes haciendas de plus de 500 hectares se sont développées aux dépens des petits paysans. Le problème du latifundium en Colombie a été à l’origine des premières guérillas. Maintenant, nous subissons l'offensive des transnationales qui veulent s’emparer des terres, avec des grands projets miniers et agro-industriels. Il faut tenir compte du fait que la terre, en ce moment, et au niveau mondial, a atteint des prix exorbitants.
Comment la société colombienne actuelle peut-elle participer aux conversations sur la paix?
Nous avons adopté quelques principes pour le fonctionnement de la table. Les gens qui se trouvent dans le pays peuvent convoquer des forums, des assemblées, des rencontres, des rassemblements où pourra être débattu par exemple le problème de la terre. On pourra également organiser des rencontres nationales où l’on pourra apporter et réunir toutes les idées. Le problème de la terre en Colombie ne date pas d’hier, c’est un problème historique et les organisations paysannes, indigènes et afro-descendantes se sont formées grâce à un parcours de lutte, il en est de même pour les FARC. Le 20 juillet 1974, les FARC ont rendu public le programme agraire des guérilleros. Actuellement, nous actualisons tout cela et nous l’apportons à la table des négociations pour en débattre.
Mais le gouvernement Santos affirme qu’il commence déjà à s’occuper du problème de la terre.
Le gouvernement a intérêt à opérer quelques changements dans le domaine de la terre, car il est de son intérêt de recentrer la question du capitalisme dans la campagne. Le problème est qu’il va lui falloir intégrer les deux tiers de la Colombie qui représentent le pays des oubliés. Là, dans ce territoire se trouve la guérilla et il n’y pas trace de la présence de l’État. C’est la raison pour laquelle, nous devrons en débattre quand nous aborderons le sujet du développement agricole.
Il y a également le problème des zones de plantation de coca, et tout ce que cela implique au niveau de la monoculture.
Les plantations de coca ne se trouvent pas uniquement dans les zones de la guérilla mais dans pratiquement tout le pays. Dans l’accord cadre, il y a un point pour débattre du problème de la monoculture. Vous noterez que pendant le sommet de Carthagène et le sommet Ibéro-américain qui va avoir lieu en Espagne, un des problèmes débattu est celui de la lutte contre le narcotrafic. En mars 1999, notre commandant Manuel Marulanda Vélez a réalisé une étude sur la commune de Cartagena del Chaira. Il l’a présentée à la première réunion tenue sur les cultures illicites et la défense de l’environnement à Caguán. Il s’agit d’un plan complet et valable pour toute l’Amérique Latine, à débattre à L’OEA et à l’ONU. Il est temps que le Département d’État US voie qu’il y a une façon différente d’aborder le problème de la production et de la commercialisation des narcotiques dans le monde. Pour cela, la réponse répressive n’est pas suffisante car il s’agit d’un phénomène économique, politique, militaire et social. Cela brasse des fortunes immenses. Actuellement, 670 milliards de dollars circulent à travers le monde grâce aux narcotiques. Tout ce flot de billets irrigue le secteur financier des USA. 20 milliards sont reversés en Amérique Latine, et la Colombie, dont on dit qu’elle exporte 80% de la cocaïne, reçoit 4,5 milliards de dollars. Qui fait le plus grand commerce ? En dehors de cela, la coca est liée au problème des précurseurs chimiques, produits dans le premier monde. C’est lié au problème des armements. Qui les fabrique? Ce sont eux aussi, l' Occident, le premier monde.
Comme on le voit bien, ce sont des sujets très sérieux, et l’État s’est bien rendu compte que cette guerre, il l’a déjà perdue. A cause de cela, les autres pays voient comment ils abordent ce sujet et sur ce point les FARC ont aussi des propositions à faire pour envisager des solutions. C’est contradictoire, mais sur cet aspect, nous pouvons être les alliés des USA. Avec l’Europe aussi, dont la jeunese est frappée de plein fouet, et nous, nous payons le prix d’une guerre qui n’est pas la nôtre.
Imaginons que les conversations de paix aboutissent, moyennant des changements et quelques concessions. Qu’advient-il des bases usaméricaines?
Il s’agit là d’un problème de souveraineté nationale et nous nous sommes opposés par principe à ce qu’il y ait des bases militaires, avec des troupes étrangères en Colombie. Sous prétexte de lutte contre le narcotrafic, ils se sont installés là, livrant par la suite la guerre contre-insurrectionnelle la plus dévastatrice. Nous, nous avons reçu les bombes. Aucun narcotrafiquant n’est mort à cause d’elles, alors qu’ils étaient supposés être la cible de ces bases. Tout ce qu’il y a en Colombie en rapport avec ces bases sert à contrôler le continent sud-américain, voire même africain. Nous sommes fermement convaincus que ces bases, leurs conseillers et les troupes usaméricaines rendraient un grand service à la paix en quittant le territoire colombien.
Dans quelle mesure le résultat des élections usaméricaines peut-il influencer ces négociations?
On spécule beaucoup là-dessus, bien que les deux grands partis soient en accord sur la politique extérieure usaméricaine. Ils suggèrent que le candidat républicain est beaucoup plus dur qu’Obama, ou que celui-ci va changer de position, mais la réalité c’est qu’en politique étrangère, ils marchent comme un seul homme. On aimerait, mais ce sont des vœux pieux, que monsieur Obama ait une façon différente de regarder l’Amérique latine. Qu’il se rende compte que ce blocus de Cuba est obsolète, et que lui, en tant que démocrate, devrait contribuer à le lever. Ou bien encore cette prison de Guantanamo qu’ils conservent et qui devrait disparaître. La réalité, c’est qu’en politique extérieure, les USA ont chaque fois plus serré à la gorge l’Amérique Latine, c’est pour cette raison qu’ils sont isolés sur le continent.
Accordez-vous de l’importance aux changements qui se produisent sur le continent par rapport à l’intégration des pays?
Bien sûr, une nouvelle façon de faire de la diplomatie dans les pays latino-américains a vu le jour. Le fait que l’OEA ait perdu autant de prestige et que les organismes comme la CELAC et l’UNASUR aient pris de l’essor, sans représentation en leur sein de gringos ou de Canadiens, signifie que leur politique extérieure pour l’Amérique latine a échoué. Pour les peuples, ils sont un danger, un monstre assoiffé de nos richesses naturelles.
Envisagez-vous de participer d’une façon ou d’une autre aux prochaines élections colombiennes?
Il est trop tôt pour en parler. Nous n’avons pas encore mis en place la table des négociations. Nous pensons vingt-quatre heures sur vingt-quatre à la façon dont nous allons relever le défi de parvenir à un accord final et de commencer la construction de la paix en Colombie. Nous ne sommes pas des politiciens de bureau, beaucoup de gens aiment bien cela, nous avons une autre façon de voir et de comprendre la politique. Le système électoral traditionnel ne nous séduit pas et encore moins sous la forme qu’il prend en Colombie, car pour arriver au parlement, si vous n’avez pas un ou deux milliards de pesos, vous n’y accèderez pas. Imaginez que ceux qui y siègent, font pour la plupart d’entre eux l’objet d’une inculpation (il y en a même qui sont en prison) en effet, la corruption de ce parlement colombien est édifiante. Il en va de même avec les gouvernements locaux et les mairies. Les classes dirigeantes sont en effet toutes corrompues, et ont abusé d’un peuple qui est bon, simple et travailleur.
Pensez-vous qu’il aurait mieux valu compter sur la présence de l’ELN à ces tables de négociations qui vont démarrer ?
Nous avons déjà fait une expérience avec eux dans la Coordination de la Guérilla Simon Bolivar. A Tlaxcala, il y avait l’ELN, L’EPL et nous aussi. Malheureusement, cela n’a rien donné. Avec l’ELN, nous avions eu auparavant quelques désaccords, cela au moins c’est fini, et nous sommes sur la voie d’un processus d’unité assez avancé. Nous démarrons ce processus avec le gouvernement séparément mais de toute façon, nous avons toujours dit que les portes sont ouvertes pour une union, mais l’ELN étant une organisation souveraine, ils peuvent faire leur propre expérience. Si dans l’avenir nous pouvons être d’accord, ce serait très intéressant que nous nous asseyons à la même table.
C’est un point que nous soumettons à la table du dialogue. Il existe déjà des expériences, Mandela est resté 7 ans en prison et de là, il a réussi à avoir une influence importante pour mettre fin à l’A
Quand on envisage ce type de négociations, certains mots-clé comme “réconciliation”, “réparation”, « commission de vérité” ressurgissent toujours. Qu’en pensez-vous par rapport au processus qui va débuter ?
Nous croyons qu’en Colombie, il peut y avoir un gouvernement de reconstruction et de réconciliation nationale. Cela peut se produire à un moment donné, cependant nous ne nous laissons pas abuser par des parlotes creuses et nous n’avons nul besoin non plus de copier les autres. Ici, il y a eu une guerre, si le gouvernement est politiquement disposé à y mettre fin, nous y sommes prêts, nous pouvons même faire des projets dans de nombreux domaines. Chaque conflit a ses particularités et le conflit colombien particulièrement. Tous ces problèmes que vous posez, seront traités tout au long des discussions au moment voulu.
Ces dernières années, plusieurs de vos camarades du Secrétariat sont morts au combat, suite à l’offensive de l’armée. Quelles répercussions ces morts ont-elles eu sur votre lutte ?
Les camarades tombés au combat restent présents dans chaque action des femmes et des hommes des FARC. Dans chacun de nos camps, nous mettons leurs portraits et nous les évoquons chaque soir pendant nos activités culturelles. Ils ont été nos guides, nos maîtres, ce sont des personnes uniques qui ont tout offert pour la paix en Colombie. Ce sont des hommes qui ne se sont jamais soumis et ont su voir au-delà de ce que nous voyons maintenant et dont l’image ne cessera de grandir. Ce sont des véritables héros pour la Patrie. Il faudra à un moment donné, leur montrer de la reconnaissance comme ils le méritent. Dans de nombreux pays dans le monde, il en a été ainsi, on poursuit les gens, on les emprisonne, on les dénigre, et après, quand la situation change, il se trouve qu’ils étaient porteurs de la vérité historique, qu’ils ont donné toutes leurs forces pour changer la réalité d’humiliations que vivait leur pays.
A votre avis, comment vont réagir les femmes colombiennes par rapport à ces conversations de paix, ces femmes qui sont des mères, qui sont des filles de guérilleros comme vous ou encore ces autres femmes de la société colombienne qui ont subi la violence toutes ces années?
Les femmes et le peuple entier, ont accueilli cette information avec beaucoup de joie. La première enquête montre que 80% du peuple colombien est en faveur de la paix. Quand nous nous sommes réunis en février pour la première fois avec le gouvernement, ces derniers disaient pratiquement que le pays voulait une guerre, qu’ils nous détestaient et nous, nous leur disions, non, Messieurs, c’est la paix qui prédomine en Colombie et c’est vous qui avez une vision complètement faussée des choses. Maintenant, ils ont dû nous donner raison et si les choses marchent, cela va être encore plus fort, et de nouveaux acteurs s’intègreront, non seulement dans la société colombienne mais également de l’extérieur. Vous voyez que le Pape a soutenu les dialogues de paix, ainsi que les Nations unies ou l’Union Européenne, la présidente d’Argentine, Cristina Fernandez et celle du Brésil. Pourvu que ceux d’entre nous qui ont la responsabilité de mener à bien ce processus, nous puissions accomplir la mission qu’on nous a confiée.
Le socialisme est-il toujours votre objectif?
Évidemment, il s’agit du seul système qui peut sauver la planète. Nous nous sommes battus pour le socialisme, les armes à la main, parce qu’on ne nous a pas laissés le choix.
Nous nous acheminons, indéfectiblement, vers une prise du pouvoir par le peuple. Nous n’avons jamais caché cela. Soit on nous permettait de faire de la politique pour faire connaître nos idéaux et atteindre nos objectifs par la voie légale, soit on nous barrait la route avec violence comme ils l’ont fait tout ce temps-là. Nous ne renions pas notre appartenance au socialisme. Ce sont les peuples qui font les révolutions et nous faisons partie du peuple. Nous pouvons essayer d’organiser militairement notre peuple mais nous pouvons tout aussi bien l’organiser politiquement. A condition que l’on respecte la vie de ces personnes que nous organisons politiquement. Ce que nous ne pouvons revivre, c’est l’histoire de l’Union Patriotique, le plus grand génocide d’Amérique Latine, avec cinq mille morts, alors que nous tentions d’ouvrir un espace politique. Le prix à payer a été particulièrement lourd pour un pays comme la Colombie.
Merci à Tlaxcala
Source et vidéos de l'entretien: http://www.resumenlatinoamericano.org/index.php?option=com_content&task=view&id=3253&Itemid=5&lang=fr
Date de parution de l'article original: 01/10/2012
URL de cette page: http://www.tlaxcala-int.org/article.asp?reference=8354