Chavez, Fidel et Tarek (vidéos à la suite de l'article)
Par Yinett Polanco / redaccion@ahora.cu / Jeudi, 12 Août 2010
Il y a six ans que Tarek William Saab est le gouverneur de la province d´Anzoátegui, un des états vénézuéliens dans lesquels a commencé la Mission « Cultura Corazón Adentro », qui aspire à mettre la culture des arts et des traditions à la portée de tous, fondamentalement des plus humbles. Mais Tarek est un poète, en plus de politicien et avocat, une condition qui paraît avoir défini toute sa vie : il possède (a écrit) 11 livres publiés dans son pays natal, au Mexique, en Argentine, à Cuba, en Colombie, en Syrie et en Chine, parmi lesquels se trouvent Los ríos de la ira (1987), Al Fatah (1994), Los niños del infortunio (2006), Memorias de Gulan Rubani (2007) ou Un paisaje boreal (2008). Pour lui, son « être politique idéologique ne pourra jamais être séparé de cette partie spirituelle, poétique ».
Dernièrement, il semble qu´il se multiplie et qu’il est partout : dans l´activation des patrouilles du Parti Socialiste Uni de Venezuela pour les prochaines élections de septembre, dans les réunions avec les collaborateurs cubains de la Mission « Cultura… » ou intervenant dans un programme de télévision de grande audition « La Hojilla ». Même ainsi, il trouve un espace pour cette entrevue et bien qu´il soit pressé, ses réflexions et son discours ne le dénotent pas.
La Mission « Cultura Corazón Adentro » fondée par le Président Chávez il y a deux ans a commencé à Anzoátegui. Quels sont ses buts spécifiques ?
Le plus important pour nous, dans cette étape, est de consolider un travail que je qualifierais de précurseur ou de constitutif de ce type d´expérience à Anzoátegui. Depuis 2005 nous avons l’école de promoteurs culturels « Alfredo Almeida », qui est née comme une unité d’enseignement des Cubains et des Vénézuéliens pour convertir les diplômés ayant le titre universitaire de Technicien supérieur en développement culturel en Multiplicateurs des arts dans tous les quartiers populaires des principales villes de notre état.
L´expérience a été très gratifiante car on a vu des endroits et des espaces publics, tels que des parcs, des places, des jardins de maisons très humbles, occupés par des multiplicateurs diplômés. Je sens que, d´une certaine façon, l´entrée de la Mission « Cultura… » à Anzoátegui a été relativement facile – ainsi le reflétait le coordinateur cubain avec qui j’ai eu une réunion – car c´est un état possédant une infrastructure culturelle impressionnante, très avancée dans de nombreuses matières.
Nos expectatives après la réunion que j’ai eu avec les collaborateurs, en les connaissants, en voyant leur jeunesse, leurs désirs de faire, est que le travail réalisé en ce temps atteint un niveau supérieur et deux expériences se fondent : celle de l´école des promoteurs culturels et celle de cette Mission. Pour moi c´est le même processus, nous sommes sur le même chemin. L’école de promoteurs culturels « Alfredo Almeida » est née grâce à l’appui extraordinaire du Commandant Fidel Castro. Je l´ai rencontré en 2005 et je lui ai dit que nous aimerions faire quelque chose au niveau culturel à Anzoátegui, au-delà des missions éducatives et de santé. Alors il m’a dit de parler de mon inquiétude avec Abel Prieto, le ministre cubain de la Culture, qu’il concevra sûrement quelque chose, et il en a été ainsi. Je rappelle que nous nous sommes réunis et, à partir de là, on a conçu la transformation de l´expérience cubaine des instructeurs d´art en quelque chose adaptée à une région d´un pays, c’est ainsi qu’est apparue la maquette de ce qu’est un promoteur culturel.
Je sens que ceci ne nous est pas étranger, au contraire, nous avons donné l´appui inconditionnel du gouvernement et j’ai beaucoup d´espoirs. Jusqu´à présent il y a 106 collaborateurs et cent de plus vont arriver, c’est un groupe important, présent dans les quatre villes principales : Barcelona, Puerto la Cruz, El Tigre et Anaco. J’augure des choses historiques pour cette Mission.
Anzoátegui est un des états pilotes où s´initient des collaborateurs de littérature, une expérience qui n´existait pas. Comment croyez-vous que l´expérience des autres vienne compléter ces ateliers de littérature ?
Je crois que la littérature est la mère de tous les arts, car la narrative, la poésie (qui est la beauté du mot à travers les vers), l´essai (qui est la pensée critique) et tout cela est l´esprit humain créant et s’exprimant à travers son instrument primaire : le mot. Je crois que l´impact sera important. Nous avons besoin des jeunes penseurs qui ont le même niveau de réflexion orale et écrite. Il y a des gens qui sont très expressifs au niveau oral, mais au moment d´écrire non seulement ils font des fautes d’orthographes, mais ils n’ont pas, non plus, un système pour traduire leurs pensées en lettres. Je donne une valeur unique à la littérature car elle ouvre la pensée, elle permet d´élever le niveau éthique, spirituel. À travers la littérature tu connais l´histoire, la géographie, tout le monde, par conséquent, le sujet de l´entrée de la littérature dans la Mission « Cultura » va être très important.
À votre avis, quel est le rôle que joue la culture dans les processus de transformation révolutionnaire ?
Une révolution sans un bagage culturel d’un vaste spectre fracasse, est tronqué et se transforme en autre chose, il dévie. Toutes les vraies révolutions ont un caractère spirituel, humain et culturel. Nous avons l´exemple de la Révolution Cubaine qui a survécu le blocus, à l´isolement imposé par l´empire étasunien, avec une tâche parallèle à la diplomatie formelle que j’appellerais une diplomatie culturelle de longue haleine, laquelle a servi pour que des artistes de tout le monde connaissent l´autre réalité du pays, et durant des décennies on a senti Cuba comme une référence d´émancipation, au-delà de toute polémique.
Ce que vous avez obtenu avec beaucoup de sagesse et temps, nous devons, à partir de la réalité vénézuélienne et de nos particularités, le voir comme un grand exemple de la façon dont le thème culturel parvient à avoir un impact sur un peuple pour élever sa conscience politique, sa sensibilité, sa solidarité, des valeurs étrangères au capitalisme, au néo-libéralisme, à la conception esclavagiste et mercantiliste du monde.
Les puissantes sociétés converties en empires – et actuellement l´empereur n´est pas Obama, mais les grandes corporations : militaires, médiatiques, textiles – qui cherchent que nos peuples soient, littéralement parlant, des analphabètes, ou qu’ils puissent lire et écrire mais qu’ils soient des illettrés fonctionnels, des ignorants, pour qu´ils deviennent des proies plus facile de l´oppression, de la transculturation, d´un bombardement permanent d´antivaleurs avec lequel l´identité nationale et l´être vénézuélien disparaît.
La culture, par conséquent, dans un schéma où existe la dichotomie de oppresseur/opprimé, doit rompre avec cette politique déguisée aujourd´hui dans le cinéma, la littérature, où on présente la drogue, l’alcoolisme, tout ce qui implique une destruction, comme quelque chose de normal dans une société. La tâche culturelle doit aller au-delà des beaux arts et se convertir en un processus de transformation sentimentale et spirituelle de l´être humain pour le métamorphoser en quelqu´un de différent. Si cela existe dans un pays, c’est parce qu´il y a une révolution en marche, et évidemment au Venezuela ces choses adviennent.
Cela ne signifie pas que nous nous déconnections de la réalité universelle, il y a des choses aux Etats-Unis que nous célébrons, par exemple : sa musique ; ses grands écrivains ; son art, non pas fait depuis la domination, mais depuis la libération, comme devrait être l´art. Les Etats-Unis ont donné des gens comme Oliver Stone, dont ses films ont ouvert les yeux de nombreuses personnes quant à la réalité cubaine et vénézuélienne. Des acteurs comme Sean Penn, lauréat d´Oscar, que nous voyons à Haïti, au Venezuela, à Cuba, affrontant la guerre en Iraq. On doit avoir un sens critique, mais ample à la fois pour ne pas tomber dans les dogmes. Le plus important pour un artiste et pour ceux qui croient et qui pratiquent la culture, est de ne pas tomber dans les dogmes. Le plus antirévolutionnaire est un être dogmatique. Le plus révolutionnaire est de convertir une philosophie, une idéologie, un fait culturel en un instrument ou en une voie pour l´émancipation, pour la rébellion, contre tout type de chaînes.
Je pense que ces semences que la Mission « Cultura » crée et tout ce que nous pouvons faire au niveau politique, comme dirigeants, comme révolutionnaires, vont rendre ses fruits, et ils les rendent déjà. Le Venezuela n´est plus le même, culturellement parlant, dans l´identité nationale et dans le sentiment anti-impérialiste, qu’en 1998. Nous avons changé et ce changement dans la conscience du Vénézuélien est aussi un changement culturel. Ces icônes d’hier qui soutenaient le modèle politique d´oppression de la IVème République s’écroulent, implosent. Nous sommes dans l´étape la plus difficile : celle de restituer la peau et la chair de notre société et cela sera un processus de nombreuses années. Qu´est-ce que nous allons sauver ? Une véritable révolution culturelle depuis l´intérieur. Je crois que le président Chávez l’a compris, c’est pour cela qu’il applaudit et qu’il soutient tant cette Mission et c´est pourquoi nous, comme dirigeants, nous sommes obligés qu’elle ait tout le succès qu´elle mérite.
Il y a deux choses que Tarek paraît avoir été depuis toujours : un lutteur, car dès l’âge de 14 ans il s’est uni à un ex commandant guérillero, et un écrivain, car à 15 ans il publiait déjà ses premiers poèmes. Vous concevez-vous d´une autre manière ?
Non, je ne me conçois pas autrement, j’ai toujours le thème culturel présent dans ma formation politique. Je suis un spécialiste, á ma façon, de la littérature, du cinéma, des arts plastiques, de tout ce qui implique un sentiment émotionnellement sain qui te permet d´ouvrir ton esprit et de voyager en étant éveillé depuis un point fixe. C’est la poésie qui m’a donné cela, assumer l´écriture comme un moyen d´expression artistique, m´a ouvert d´autres chemins vers la musique, par exemple.
Nous avons construit un parc, l´Andres Eloy Blanco, où il y a 14 bustes de poètes, de musiciens, c’est quelque chose d’unique dans un territoire de 400 mille mètres carrés avec des places, là se trouvent García Lorca, Roque Dalton, l´immense monument à Simon Bolivar, des chanteurs nord-américains comme Bob Dylan ; c’est quelque chose au milieu de cette nature naissante qui nous réconcilie avec le monde. Je pense que la poésie, la littérature, les arts, la création culturelle de l´être humain, sont inséparables de l´être politique.
Je ne crois pas que cette faculté me soit exclusive. Un être politique pensant doit avoir une éthique, comme exemple de base il y a José Martí, un grand philosophe, un grand penseur, un poète qui est regrettablement mort lors d’une bataille. Un autre exemple est celui de Roque Dalton, un révolutionnaire, un politicien, un poète, mort lui aussi en combat. Il y a Javier Heraud, au Pérou, quelqu´un provenant de l´oligarchie de Lima, assassiné à l’âge de 21 ans après avoir surpris le Pérou avec un livre écrit à l’âge de 18 ou aux 19 an, El río. Il s´est formé dans la lutte armée à Cuba et il est mort près d’un fleuve appelé Madre de Dios.
Nous nous rappelons de García Lorca, fusillé pour être ce qu’il a été. Ce sont des exemples lumineux dans ce fin tragique, chacun dans leur temps. Je sens que mon être révolutionnaire, mon être politique idéologique ne pourra jamais être séparé de cette partie spirituelle, poétique, qui m´accompagnera jusqu´à la mort.
Vous avez mentionné la réunion avec Fidel en 2005, vous l’avez aussi rencontré en 2006, lors de la présentation de Los niños del infortunio, et ensuite vous êtes revenu à La Havane, pour la Foire du Livre 2009 avec En un paisaje boreal. Pour vous, que signifient Cuba et Fidel ?
Je les ai eus comme références presque toute ma vie. J´ai grandi en ayant Cuba et Fidel, dans un premier temps, comme quelque chose de difficile à toucher ; le triomphe de la Révolution Bolivarienne nous a ensuite approchées énormément, car nous sommes deux pays frères, pour toute cette admiration de Martí pour Bolivar, pour tant de choses communes jusque dans notre façon d´être. L’empire nous avait éloignées énormément à travers tant de manipulation contre Cuba, Fidel, Révolution.
Évidemment ceux qui avaient une formation de gauche depuis l´adolescence, ne tombaient pas dans ce piège, mais ces années nous ont permis de la connaître au-delà de ce que j’écoutais à Radio Habana Cuba, des livres que je lisais, de la biographie de Fidel, de ses exploits, ceux du Che Guevara. J’ai séjourné des centaines de fois à Cuba et j´ai eu de nombreuses entrevues avec Fidel. J´ai eu la chance d´être avec lui durant plusieurs heures, il m´a même honoré lors de sa visite à Anzoátegui, quand a été fondé Petrocaribe, avec sa présence chez moi. Ensuite je l’ai vu durant sa convalescence, j´ai eu le privilège, peut-être immérité, de pouvoir être avec lui pendant ces années, quand il a recouvré la santé, j´ai pu voir son évolution.
L´année dernière, pendant la Foire du Livre, je lui ai rendu visite et il m´a donné l’impressionnante nouvelle que pour la première fois, depuis qu’il commençait à se rétablir, il avait marché jusqu´à la maison où il vivait, parce qu´il était dans un autre lieu, proche de chez lui, et nous avons beaucoup parlé.
Cette année j´ai eu l´occasion de le visiter deux fois, pour la Foire du Livre et pour le Festival International de Poésie de La Havane. Je le vois chaque fois plus sage, plus profond, plus humain, c’est tout un chevalier. Fidel est un homme qui a déjà échappé au XXème siècle, parce qu´il s’est projeté sur ce XXIème siècle. Je l´ai vu récemment dans sa réunion avec les artistes, avec les intellectuels, avec sa tenue vert olive, saluant Silvio, Kcho et tout cela nous inspire pour continuer la lutte. C’est impossible d’être comme lui, mais au moins voir en lui, dans son exemple, une inspiration permanente de vivre. En observant sa convalescence et la façon dont il l’a surpassé, comment il s´est présenté face aux gens ces dernières semaines ; je qualifie cela comme un exploit semblable à tous ceux qu´il a réalisé, comme être emprisonné après l´assaut de la caserne Moncada, s’exiler, revenir à Cuba dans un bateau, combattre deux ans, prendre le pouvoir et construire le socialisme dans une île assiégée par l´empire. Cela est un exploit dans une dimension personnelle et humaine, il est parvenu à se rétablir et il a pensé, il a réfléchi, il a écrit et il a alerté l´humanité.
Quand je l´ai vu au mois de mai, il m’a commenté un livre qu’il écrivait sur sa campagne de guérilla dans la Sierra Maestra, où il comptait même les cartouches qui étaient tirées et celles qui ne devaient pas être tirées. C’est incroyable à son âge de reconstruire quelque chose tellement précis. Personnellement, c´est plus grand homme que j’ai connu, je doute que celui qui a connu Fidel parvienne ensuite à connaître quelqu´un de cette dimension. Je me sens très revendiqué car dans le cas vénézuélien, s´il a un vrai disciple, dans les termes les plus justes et éthiques du mot, c’est le président Hugo Chavez. Il a suivi ses pas. Chacun a ses réalités différentes, mais les vicissitudes sont communes, comme les grandes limitations, les mêmes ennemis, la même cruauté et la même férocité de la part de ceux qui veulent nous détruire et malgré tout, la persistance de continuer de l’avant et de vaincre toutes ces difficultés. Je crois que la Révolution vénézuélienne sans l´exemple de Cuba et de Fidel n´existerait pas.
Une des façons dont se sont matérialisés un grand nombre des rêves conjoints de Chávez et de Fidel est à travers les projets de l’ALBA (Alliance Bolivarienne pour les Amériques), comment imaginez-vous toute une Amérique Latine dans une alliance de ce type ?
C’est comme le rêve de Bolivar devenu une réalité 200 années plus tard. Les premiers pas sont faits, il y a même un ALBA culturel en marche, nous avons Petrocaribe, une alliance de caractère diplomatique, l’ALBA a eu un impact sur l’UNASUR.
Ce qui paraissait impossible dans les années 60, quand ont eu lieu ces grandes rébellions en Amérique Latine et que la seule triomphante a été la Révolution Cubaine, devient une réalité. Le chemin se dégage, il y a deux projets qui s’affrontent : celui de la révolution, de l´émancipation, de nous voir nous mêmes comme un peuple proche, comme un continent, et le projet d´exploitation, de guerre, de catastrophe naturelle, d´en finir avec l´être humain que représente l´empire étasunien et toutes les superpuissances européennes qui l´accompagnent. C’est notre heure de faire ce chemin.
C´est pour cette raison qu’ils attaquent tant Chávez à l´heure actuelle, l´encre qui coule est impressionnante, sur Internet, dans les journaux, car en vérité c´est une expérience atypique à cette époque. Nous devons nous unir de plus en plus pour survivre à cette conjoncture si difficile et donner la sécurité d´un monde meilleur pour nos enfants et nos petits-enfants.
Tiré de Cubarte