Alors que la presse s’emballait un peu partout il y a quelques semaines à la suite de la mort d’un prisonnier de droit commun qui effectuait une grève de la faim pour obtenir un téléphone personnel et la possibilité de cuisiner dans sa cellule, voici que les journaux annoncent la mort de Marcel Simard, un cinéaste engagé.
Bien sûr, il n’y a aucun rapport entre ces deux morts, sinon qu’il s’agit de deux suicides. Le premier a été encouragé et soutenu par des mercenaires qui ont, comme programme politique, le retour de Cuba dans le giron des États-Unis, avec la restauration ni plus ni moins de la situation qui prévalait avant la révolution.
On n’a qu’à naviguer sur Internet pour comprendre comment pourrait se faire cette soi-disant transition. Ou observer ce qui se passe actuellement au Honduras depuis le renversement du président Manuel Zelaya: les escadrons de la mort, des militaires dont plusieurs se sont gradués à la fameuse École des Amériques, là où ont également fait leurs classes les tortionnaires à la solde de Pinochet et des dictateurs argentins, entre autres, sont passés en mode grande vitesse et ont entrepris de liquider physiquement tous les opposants au gouvernement actuel issu d’élections frauduleuses et les syndicalistes qui s’étaient mouillés lors des grandes manifestations de résistance des mois passés.
Certains capos de la mafia cubaine à Miami ont d’ailleurs déjà déclaré publiquement qu’advenant un renversement du gouvernement actuel à La Havane (quelque chose d’improbable), ils demanderaient à Washington «quelques jours de grâce» pour pouvoir liquider physiquement tous ceux qui depuis 50 ans «ont supporté ce régime communiste». Ça fait beaucoup de monde, on en conviendra, et cela en dit long sur le genre de démocratie qu’ils voudraient imposer. C’est pour «ça» qu’est mort le gréviste de la faim Zapata.
L’autre dont la voix s’est tue, un être noble, peu bavard et d’une grande valeur, je n’en doute pas quand on considère l’ensemble de son œuvre, c’est un cinéaste socialement engagé que je connaissais à peine, sinon à travers quelques-unes de ses réalisations. Nos seuls liens remontent au temps du collège jésuite où nous avons effectué ensemble notre cours classique.
Je voyais Marcel Simard épisodiquement, du temps où je représentais encore quelque chose dans le milieu culturel québécois, cela veut dire il y a plus de 5 ans, une éternité presque, et j’ignorais que sa compagnie Virage éprouvait des difficultés financières, à l’instar de nombreuses petites entreprises culturelles que les gouvernements s’évertuent à considérer comme des entreprises capitalistes ayant l’obligation d’être rentables et de générer des profits. Je sais tout le stress et la détresse que cela suppose, ayant moi-même piloté une maison d’édition pendant plus de 20 ans, contre vents et marées, pour finalement aboutir à la disparition de ladite maison et à la liquidation de tous mes biens, après avoir publié près de 800 titres et plus de 300 auteurs.
Sa mort, même si nous ne nous connaissions que très peu, me cause un énorme chagrin. Elle me renvoie à ma propre mort, à mon propre désarroi. Son geste de mettre fin à ses jours, de disparaître subitement m’obsède depuis lors. Je ne comprends pas comment il se fait que je sois encore vivant, ayant plusieurs fois jonglé avec le suicide. Sans doute le fait d’être entouré d’une ribambelle d’enfants et de croire encore qu’un autre monde, meilleur celui-là, est possible?
Marcel, tu fais partie des quelques personnes aujourd’hui disparues, mais que je n’ai pas eu le temps de suffisamment fréquenter, que j’aimerais revoir dans une autre vie. Tu es indéniablement du nombre de ces gens dignes «qui gagnent vraiment le pain qu’ils mangent», pour paraphraser le romancier chilien Luis Sepulveda. Et je me répète souvent cette phrase de Cocteau: «Celui qui ne comprend pas ce qu’est l’échec est perdu».
Canoë