Le grand maître zen Chuang-Tzu raconte cette histoire à propos du temps : un homme ne voulait plus voir ni son ombre ni les traces que ses pas laissaient sur le sol. Alors, il se mit à fuir et à courir. Malheureusement, son ombre le suivait toujours et ses traces de pas demeuraient apparentes. Il voulut courir plus vite encore, croyant ainsi venir à bout de ses deux obsessions.
Malheureusement, il en mourut d’épuisement. Il lui aurait suffi, selon Chuang-Tzu, de chercher un endroit à l’ombre pour y vivre tranquillement, et y demeurer sans trop faire de vagues. De marquer un temps d’arrêt.
Nous sommes souvent comme ce coureur fou, nous cherchons midi à quatorze heures, pressés que nous sommes d’atteindre l’orgasme total, d’atteindre le sommet de l’Everest ou l’arrivée de la prochaine saison, alors que le bonheur est tout près de nous, dans les choses toutes simples. Dans le baiser, par exemple. Je propose qu’on consacre une journée de l’année au baiser, tout comme il y a la journée sans voiture, la journée de la lenteur ou la journée du câlin. Ce qui ne signifie pas qu’il ne faille pas pratiquer le baiser toutes les fois que l’occasion se présente soit le plus souvent possible.
Il n’y a rien de mieux qu’un baiser langoureux pour stimuler notre cerveau. Cela est prouvé médicalement. Le cerveau, ainsi excité, libère les glandes endorphines dans notre sang. Et du coup, notre organisme ressent un réel bien-être. Pas besoin de petites pilules bleues ou jaunes, pas besoin d’un gros portefeuille, pas besoin de s’entraîner sur le tapis roulant ou le vélo stationnaire, le baiser fait beaucoup mieux l’affaire. Un baiser passionné augmentera notre rythme cardiaque et le niveau de glucose dans le sang. Et plus le baiser sera passionné, plus l’adrénaline fera son effet, augmentant d’autant notre excitation et notre désir.
Vous voulez en finir avec la déprime qui nous tombe dessus chaque année lorsque l’hiver semble s’éterniser et que la lumière du jour n’est plus en mesure de charger notre «batterie»? Je propose qu’on organise, tous les 14 février, une sorte de bal en blanc, mais sans le côté «bal en blanc». On loue le stade olympique pendant quelques heures, toute la population est invitée à venir s’embrasser, à venir pratiquer le baiser en couple, en famille, en groupe, à la chaîne. Des médecins seraient sur place, au cas où certains cœurs sensibles flancheraient, des représentants des principales compagnies de dentifrice offriraient gratuitement leurs produits, des membres du Barreau conseilleraient certaines femmes ou maris jaloux sur les désavantages d’un divorce irréfléchi, des professeurs en sexologie de l’UQAM et leurs étudiants se livreraient à des séances de baiser de niveaux 101, baccalauréat, maîtrise, doctorat, etc. Je demande officiellement à François Gourd, le promoteur d’un Cubec libre, d’organiser cette première rencontre où serait interdite toute consommation de drogue, puisque la dopamine naturelle circulerait de bouche-à-bouche.
J’exagère, bien sûr, il n’est pas nécessaire d’en faire autant, pas besoin d’un stade olympique ni d’un centre Bell pour redécouvrir les petites joies toutes simples. En ces temps de frénésie de consommation où tous les jours nous recevons par la poste, par courrier électronique ou insérées dans les journaux, des tonnes de publicité, depuis des invitations à rencontrer l’âme sœur jusqu’à l’achat d’ameublements complets, en passant par les forfaits vacances et toute la panoplie des gadgets électroniques, pourquoi ne pas nous arrêter quelque peu, le temps d’un baiser, amoureux ou thérapeutique ?