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1 mars 2010 1 01 /03 /mars /2010 07:55
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par Canek Sánchez Guevara

Il est minuit. L'immense Terminal d'autobus de l'Orient ne ressemble pas à la fourmilière turbulente, qu'en effet, il est durant le jour. Avant de monter dans le bus, je fume la dernière cigarette. Je n'ai pas sommeil (j'ai passé l'après-midi vautré sur un canapé, en ronflant). Je voyage seul sur deux sièges. Je lis. Le livre me séduit pour de multiples raisons : il est bien écrit, parle d'une ville que je connais bien et d'une situation qui m'intéresse beaucoup. Ensuite je m'endors, sans m'en apercevoir, au milieu d'une phrase, d'un paragraphe, d'une page. À six heures du matin, je bois un immonde café de gare d'autobus. Je suis arrivé à destination.

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Esclaves salariés, Oaxaca, 2010.

Photo : Canek Sánchez Guevara


Je suis tombé amoureux de cette ville aussitôt que je l'ai vue, il y a une quinzaine d'années. J'étais venu passer une semaine de vacances et j'y suis resté presque une décennie, en tombant chaque jour plus amoureux. Elle a quelque chose en elle qui attire des peintres, des poètes, des musiciens, des photographes - évidemment des anthropologues, des ethnologues, des sociologues - et des vagabonds du monde entier. Les esthètes de la marijuana et les prophètes du champignon ont fait école ici. Ceux qui rêvent de révolutions aussi. C'est l'un des états les plus pauvres de la fédération, aussi l'un des coins le plus riche en couleurs, en saveurs, en arômes, en sons, en contradictions, en luttes...


J'arrive à la maison de vieux amis, avant que le soleil se lève. Pendant des heures, ils me comptent tout ce qui s'est passé 450913430.jpgdurant ces cinq dernières années où j'étais absent, des commérages de société jusqu'à la chronique politique. Et il y a beaucoup à raconter. En 2005, au cours des élections pour le gouverneur de l'état, celui qui ne devait pas gagner a gagné - non sans manipuler quelques bulletins


Maison dans les nuages, Oaxaca, 2010.

Photo : Canek Sánchez Guevara


de vote. Il y eut des manifestations et des protestations dès le premier jour. Rien de grave, mais un certain climat post-idéologique a commencé à se créer. Ce n'était pas, à proprement parler, une question de gauches ou de droites mais une réclamation des citoyens à l'état pur. Le gouverneur était en fraude, ou au moins le résultat d'une fraude.

Un an plus tard, la guerre a éclaté. Elle a débuté dans le courant de l'été, à l'aube d'un quelconque jour. Les gaz lacrymogènes ont inondé le centre. Ils essayaient de déloger un sit-in d'enseignants (qui exigeaient de meilleures conditions de travail, de meilleurs salaires, non la révolution) et ils ont déclenché la colère d'un peuple entier. Durant des mois, on a combattu dans les rues contre la police locale, la fédérale, l'armée et les troupes paramilitaires qui patrouillaient la ville en état de siège permanent. Les rebelles se sont emparés de la télévision et de la radio publiques, et les blogs sont devenus des outils de propagande et de discussion. Tortures, violations, exécutions, d'un côté ; pillages et incendies de l'autre. Mon ami le raconte mieux que moi parce qu'il l'a vécu. Sa maison est située dans le centre de la ville. Au coin, il y avait une barricade.

Nous sortons déjeuner. Le soleil, la lumière, le ciel qui couvre cette ville et qui sans doute est l'un de ses attraits (avec la 662719782.jpglumière viennent les ombres aussi belles, le clair-obscur, le contraste). Peu à peu, la ville récupère son rythme, sa vie, son commerce et sa culture. Le tourisme marche à nouveau dans ses rues ; les balles ne sifflent plus, les grenades n'explosent pas et les cocktails Molotov se sont éteints. Le tourisme est la principale industrie


Église avec clair-obscur, Oaxaca, 2010.

Photo : Canek Sánchez Guevara


de ce peuple ; sans touristes, il n'y a pas de travail, sans travail, il n'y a pas d'argent, sans argent, il n'y a pas de nourriture. Durant le déjeuner, mon ami me raconte, qu'un jour, il s'est trouvé dans une manifestation avec l'une de nos connaissances, un garçon sympathique et classe, qui déambulait dans la rue comme une âme en peine. En le rencontrant, le petit BCBG s'exclame : « Je n'ai pas un maudit centime ! », et mon ami s'esclaffe : « L'unique bonne chose de tout ceci est que, finalement, nous sommes égaux, camarade... ». Et tous les deux ont ri, et moi aussi en écoutant cette histoire, parce que s'il y a quelque chose qui dans aucune circonstance ne doit se perdre est le sens de l'humour, la fortifiante autodérision. La certitude que la faim est égale pour tous.


1784639178.jpgLe centre paraît être une zone de guerre. Des rues explosées, avec les boyaux dehors, non par l'action des bombes, mais celle du travail coordonné de milliers de travailleurs qui, à vrai dire, ressemblent à des esclaves. Embellir le centre, c'est la consigne après la guerre. Au cours du conflit, des milliers de petites affaires ont fait faillite ; avec les réparations, combien d'autres vont


Fenêtre dans le centre, Oaxaca, 2010.

Photo : Canek Sánchez Guevara


disparaître. Des mois avec les rues ouvertes, entubant des câbles, fixant des drainages et le commerce semi-paralysé. Aller d'un point à l'autre dans le centre devient une promenade dans un champ de mines métaphorique. Bagdad 2. Malgré tout, la vie revient à la normale, même si certains gestes, certaines exigences, certains instincts qui se sont éveillés avec la révolte perdurent. Peu le disent, mais ce qui est arrivé ici il y a quatre ans fut une tentative de révolution. Ou, du moins, son annonciation.

Si l'exigence a d'abord été la démission du gouverneur, avec le temps et les réponses du pouvoir (avec l'intensification des contradictions, disons), les réclamations sont devenues plus profondes, quelques-unes abstraites, d'autres très précises. Tout cela, le reporter Diego Osorno le raconte très bien dans son livre Oaxaca assiégée : le premier soulèvement du xxiesiècle 1. La métamorphose d'un rassemblement d'enseignants en un mouvement de résistance civile, en une lutte sans merci contre l'appareil d'État répressif et le rôle de la « gauche souterraine » (quel bel adjectif !) tout au long de ce processus. L'auteur, un journaliste honnête comme il en existe peu, revisite tout cela avec les mensonges et les exagérations des uns comme des autres. Il a couvert le conflit du début jusqu'à la fin, depuis les barricades, les quartiers populaires ou les luxueux hôtels où se réunissaient ou se cachaient les grands notables de la politique locale...


*

C'est ainsi que je suis retourné à Oaxaca. Je ferme le livre et je me réveille dans un café, à côté de la place centrale, autrefois campement d'enseignants dissidents, ensuite quartier général de la Police fédérale préventive et maintenant récupérée par les1463764858.jpg civils et les touristes. Les vendeurs de ballon exhibent leur marchandise multicolore et les enfants virevoltent à leur côté. Les couples d'amoureux se promènent main dans la main ou


Place centrale, Oaxaca, 2010.

Photo : Canek Sánchez Guevara


s'embrassent près de la fontaine. Oui, la vie revient à la normale, et la normalité, ici, signifie que les indigènes servent à nouveau les blancs et les métis, que le statut néocolonial demeure en vigueur, que le cacique créole prévaut.

Les résidus de la subversion, de la révolution, de l'insurrection sont là. Les blessures restent ouvertes, certains ne veulent pas parler de ce qui s'est passé, d'autres le font sans ambages. L'échec est une présence constante : on combat pour vaincre, non pour être vaincu. Personne ne se lance dans la révolution avec l'espoir de mourir écrasé. Ce n'est pas cela le but. Ce n'est pas cela la motivation. La normalité implique que la corruption continue d'être l'axe de la vraie politique, que les intérêts des partis sont plus importants que ceux citoyens et sociaux, que quelques-uns ordonnent et que beaucoup d'autres obéissent sans droit de réponse. Que l'inégalité donne cohérence et cohésion à la société. C'est ce qui est normal ici.

Il reste aussi les résidus de la peur. Des policiers armés de fusils d'assaut patrouillent dans la ville à bord de leurs 278871466.jpgcamionnettes blanches et bleues. La rébellion s'est éteinte, oui, mais dans quelques regards, le feu est toujours vivant. Tôt ou tard il recommencera à brûler. C'est inévitable, pour l'unique et simple raison que tout est retourné à la normalité... Oaxaca


Normalité, Oaxaca, 2010.

Photo : Canek Sánchez Guevara



1 - Titre original de l'œuvre citée : Oaxaca sitiada : la primera insurrección del siglo XXI.

 

 

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