La sénatrice d’opposition Piedad Cordoba est en Suisse pour promouvoir un échange humanitaire. Rencontre.
© PIERRE ALBOUY | Piedad Cordoba. «Je ne crois malheureusement pas à un changement de politique à court terme.»
GUSTAVO KUHN | 12.04.2010 | 00:00
Sénatrice de gauche dans une Colombie dominée par les conservateurs, Piedad Cordoba, 55 ans, est une des plus célèbres politiciennes de son pays. Notamment grâce à son rôle de médiatrice avec la guérilla, qui lui a permis d’obtenir la libération de plusieurs otages des FARC. Parlementaire depuis 1990, ce membre du Parti libéral est en Suisse dans le cadre d’une tournée européenne pour promouvoir un échange humanitaire entre les derniers otages des rebelles marxistes et des guérilleros emprisonnés. Interview.
Qu’est-ce qui vous amène en Suisse?
Je suis ici au nom de l’organisation Colombiens et Colombiennes pour la paix. Nous cherchons à faire connaître la vérité sur la situation des droits humains dans notre pays et promouvoir un échange humanitaire, comme premier pas vers une solution politique au conflit armé qui déchire la Colombie. Je viens aussi rencontrer le CICR, dont l’énorme travail est très difficile depuis l’opération Jaque (ndlr: durant cette action militaire, qui a permis la libération d’Ingrid Betancourt et d’autres otages, des soldats avaient utilisé l’emblème de la Croix-Rouge sur leurs déguisements, nourrissant ainsi une grande méfiance des combattants rebelles envers les humanitaires).
Que peut apporter la Suisse dans ce processus?
La Suisse a déjà eu par le passé un rôle de médiation important en Colombie. Une action qui n’a malheureusement pas abouti à la fin de la guerre. Mais elle a obtenu des points positifs, notamment dans les discussions avec la guérilla de l’ELN.
Dans un mois et demi, les Colombiens éliront le successeur d’Alvaro Uribe, au pouvoir depuis 2002. Un nouveau président serait-il plus enclin à négocier avec la guérilla?
Je ne crois malheureusement pas à un changement de politique à court terme. D’abord parce que le pouvoir actuel a renforcé sa position lors des législatives du mois dernier – qui ont été l’objet d’énormes irrégularités – et contrôle désormais 70% du parlement. Ensuite, le favori de l’élection présidentielle, Juan Manuel Santos, a longtemps été le ministre de la Guerre…, pardon, de la Défense, d’Alvaro Uribe. Il est d’ailleurs le principal responsable de ces atrocités connues comme le scandale des «faux positifs», qui a coûté la vie à près de 5000 personnes, d’après les derniers chiffres que j’ai eus (ndlr: depuis deux ans, l’affaire des «faux positifs» indigne la Colombie . Dans le but de gonfler les chiffres de la lutte contre la guérilla, des centaines, voire des milliers de civils ont été froidement assassinés par des militaires pour être présentés comme des guérilleros tués au combat).
Le fait qu’un protégé d’Uribe soit le favori de l’élection ne reflète-t-il pas le succès de la politique du président?
Comment peut-on parler de succès? La situation est désastreuse. La guerre interne, qui n’est pas reconnue comme telle par ce gouvernement élu grâce aux paramilitaires, déchire le pays et a fait 5 millions de déplacés internes. Il y a 18 millions de Colombien pauvres et 8 millions d’indigents. Plus de 3 millions et demi de nos compatriotes ont quitté le pays à la recherche d’une vie meilleure. On dénombre près de 200 000 disparitions forcées au cours des 15 dernières années, dont une grande proportion pendant les deux mandats d’Uribe. Et ceux qui dénoncent la situation sont taxés de terroristes ou de collaborateurs de la guérilla, comme moi, par exemple, et sont poursuivis. On ne peut vraiment pas parler de réussite.
http://www.tdg.ch/actu/monde/piedad-cordoba-issue-politique-guerre-colombie-2010-04-11
Source : camarade