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8 avril 2010 4 08 /04 /avril /2010 15:52

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Politologue, Alain Rouquié est directeur de recherche émérite à la Fondation nationale des sciences politiques et de l’Amérique latine contemporaine. Ancien ambassadeur au Brésil, il est président de la Maison de l’Amérique latine à Paris.


Après des années 
de dictature, la démocratie a été rétablie dans les pays d’Amérique latine. Y a-t-il une permanence de cet héritage comme semble l’indiquer votre dernier ouvrage, À l’ombre 
des dictatures (1) ?


Alain Rouquié.


Ce que j’ai voulu dire, c’est que le passage des dictatures à la démocratie n’est pas simple. Après les dernières dictatures, notamment les plus féroces des années 1970-1980, au Chili, en Argentine ou en Uruguay, entre autres, des systèmes représentatifs libéraux ont été restaurés. Ce ne sont pas des démocraties comme les autres. Il y a un héritage multiple qu’on a tendance à ne pas considérer comme une dimension importante de la vie politique et sociale de ces pays. Voilà pourquoi j’utilise le terme « ombres ». Le cas limite est celui du Chili, où l’ancien dictateur a été, de 1990 à 1998, le commandant en chef de l’armée de terre, ce qui signifie que les militaires devaient loyauté à l’ancien dictateur et que le président n’avait aucun pouvoir. C’était inscrit dans la Constitution et dans les faits. Il y avait une espèce de bicéphalie, de double pouvoir anormal dans une démocratie. Pendant vingt ans, les différents présidents issus de la Concertation démocratique ont dû déminer cet héritage. On peut ajouter à cette situation le récit fait sur l’unité populaire, qui était le récit de la junte. Il est demeuré très longtemps  : les militaires refusaient toute responsabilité sur les victimes et les violations des droits de l’homme. Les valeurs dominantes sont restées très longtemps celles de la dictature. L’héritage est donc lourd à porter pour ces démocraties.


Les racines de l’Amérique latine sont aussi beaucoup plus anciennes… Cette année marque le bicentenaire des « indépendances » en Amérique latine, vous évoquez souvent Simon Bolivar et Tocqueville. À quels types de démocratie a-t-on affaire aujourd’hui  ?


Alain Rouquié.

Le paradoxe – et la singularité – de l’Amérique latine sur le plan démocratique, comparé à d’autres continents, est le suivant  : lorsque les États nations, ces nouvelles républiques, naissent entre 1810 et 1824, les dirigeants n’ont comme légitimité que la souveraineté populaire. Il n’y a rien d’autre. Il y a un régime représentatif, mais cela ne fonctionne pas – c’est ce que dit Tocqueville – parce que la société ne le permet pas. Cette société hérite de trois siècles de colonisation espagnole ou portugaise, elle est rigide, liée aux origines ethniques avec l’esclavage, les peuples premiers, les différentes catégories de migrants venus d’Europe. Il n’y a pas une égalité de conditions, qui est à la base de tout fonctionnement de l’ordre démocratique. Au départ, vous avez d’une part des constitutions représentatives, libérales, et d’autre part une pratique dévoyée, restrictive. Au XXe siècle, cette pratique se met en mouvement sous la pression sociale, des classes moyennes, des syndicats, et se met en conformité avec la Constitution. Mais les classes dominantes, voyant qu’elles perdaient le pouvoir, ont appelé les militaires pour arrêter çà, sous toutes sortes de prétextes, particulièrement par peur du danger communiste. Tout cela procède de cette histoire des XIXe et XXe siècles et de la singularité de ces sociétés et des valeurs politiques qui dominent l’Amérique latine pendant deux siècles.


Quelle est alors la marque 
des changements profonds auxquels on assiste aujourd’hui  ?


Alain Rouquié.

À partir du moment où le fantasme de la guerre froide disparaît, vous avez une avancée dans l’éducation, la vie sociale, les associations, l’urbanisation… Rien ne peut arrêter ni remettre en question la mobilisation sociale, l’exigence et la demande de citoyenneté. Les systèmes qui permettaient légalement de canaliser le vol comme le clientélisme entrent peu à peu dans une phase d’érosion. De ce fait, nous avons des sociétés très fluides, volatiles avec des systèmes institutionnels qui rendent possible le changement de dirigeants et de politiques. Et que les militaires ne peuvent plus remettre en question.


La volonté d’indépendance vis-à-vis des États-Unis, l’Amérique latine balayée par les politiques néolibérales dans les années 1980-1990 ont fortifié les aspirations populaires à la citoyenneté…


Alain Rouquié.

Oui. Dans les années 1980, on assiste à un épuisement du modèle économique autocentré d’industrialisation nationale. Le choix des classes dominantes est l’ouverture ultralibérale, les privatisations, l’amoindrissement de l’État. Certains sont allés très loin, pas tous comme le Brésil. Mais la Bolivie, l’Argentine ont ouvert à tout-va, avec des conséquences sociales très lourdes et d’importantes mobilisations. Aujourd’hui, il y a une réhabilitation de l’État dans tous les pays où il avait été remis en question et même démantelé. Grâce à cette réhabilitation – et aussi à une conjoncture internationale plus favorable –, les dépenses sociales ont été mises en œuvre. L’éducation et la santé sont devenues des priorités, la pauvreté a reculé considérablement. Au début des années 2000, quasiment 50 % de la population latino-américaine vivait en dessous du seuil de pauvreté. Au Chili la pauvreté a diminué de moitié. Le Brésil est passé de 44 % à 24 %. C’est encore beaucoup. Mais c’est très important, car quand on avance socialement, on avance aussi sur le plan politique.


Vous analysez longuement dans votre livre les pays « refondateurs » que sont le Venezuela de Chavez, la Bolivie de Morales et l’Équateur de Correa. Vous évoquez le « populisme »…


Alain Rouquié.

Oui. Généralement, on considère que, lorsqu’on a mis l’étiquette « populisme » sur ces trois pays qui ne se ressemblent pas du tout, on a résolu le problème. Cela ne signifie rien, si ce n’est que les personnes qui qualifient ces régimes de populistes ne les aiment pas. C’est péjoratif. Ce n’est pas un concept qui explique le contenu…


Comment alors percevez-vous 
ces trois pays  ?


Alain Rouquié.

Ils sont très différents. Ils ont en commun d’être refondateurs et réparateurs. Dans les trois cas, ils ont refondé le système politique avec une nouvelle Constitution. Seul trait commun, les trois connaissent de par leur histoire, leur population, leur économie, une crise profonde des partis politiques. En Équateur, Rafael Correa a mis fin à une instabilité politique tragicomique, il s’est appuyé sur une nouvelle Constitution, mais les organisations politiques ne sont pas encore reconstituées. Au-delà, vous avez des situations différentes. Le Venezuela est un pays de redistribution d’une rente  : le pétrole. Le problème avant Chavez était la concentration inacceptable de cette distribution de la rente aux mains de quelques-uns tandis qu’un immense secteur informel ne voyait pas les retombées de cette manne. La réparation actuelle est une meilleure redistribution, progressiste, plus égalitaire. La réparation dans le cas de la Bolivie porte sur la reconnaissance de ces populations vivant en marge de la société et du pouvoir depuis cinq siècles  : les communautés et les cultures indigènes. Aujourd’hui, une classe dirigeante totalement nouvelle est en place. C’est une immense révolution. Bien sûr, çà ne plaît pas à tout le monde, notamment les tensions sont vives avec les métis et les Blancs de l’est bolivien. Il faut beaucoup de doigté à Evo Morales pour maintenir démocratie et réparation. Les processus révolutionnaires dans un cadre démocratique, ce n’est pas facile.

Ces pays – Venezuela, Bolivie et Équateur – ont aussi un point commun  : leur anti-impérialisme, alimenté dernièrement par l’implantation de sept bases américaines tout autour de l’Amérique latine et le coup d’État au Honduras…

L’anti-impérialisme est une façon de parler du point de vue de ceux qui pensent que les États-Unis sont une menace pour eux. Ce n’est pas un concept descriptif mais un engagement. Je crois que si toutes ces évolutions vertueuses, positives, ont pu avoir lieu, c’est parce que les États-Unis se désintéressent de l’Amérique Latine. Ce n’est pas parce que Monsieur Chavez ou un autre tempête contre eux. Ce qui intéresse les États-Unis, ce sont l’Afghanistan, l’Irak, le Pakistan, le Moyen-Orient, la Chine. Mais l’Amérique latine, composée de pays démocratiques, désarmés, dénucléarisés, qui fonctionnent plutôt bien sur le plan économique, ne leur posent pas de problèmes. S’il devait y en avoir, ce serait avec le Mexique avec le narcotrafic. Qu’il y ait une sensibilité forte des pays latino-américains vis-à-vis de Washington, oui. C’est la première puissance mondiale. Leur sensibilité est d’autant plus vive qu’ils sont proches et qu’il y a le poids de l’histoire immédiate.


Mais les États-Unis tentent 
de reprendre pied et d’imposer 
leur hégémonie en Amérique latine, et passent des accords bilatéraux avec certains pays.


Alain Rouquié.

Absolument, mais comme tous ceux qui veulent exporter vers ce grand marché de 500 millions de consommateurs virtuels qu’est l’Amérique latine. Selon moi, ce sont les relations normales Nord-Sud. On fait la même chose avec les pays du Maghreb, d’Afrique et dans d’autres parties du monde. Il y a le pétrole, et le pétrole, c’est le Venezuela. Le paradoxe, c’est que ce pays a comme premier client les États-Unis. Outre le pétrole, il a aussi les minerais, le lithium demain. Nous ne sommes plus au temps de la guerre froide.


Comment appréciez-vous alors 
que tous les pays latino-américains s’unissent sans les États-Unis 
et face à eux  ?


Alain Rouquié.

Il n’y a aucune raison qu’ils s’unissent avec les États-Unis. Ils ont en commun un patrimoine et des valeurs culturels, historiques. Le groupe de Rio, créé en 1986, se réunit toujours sans les États-Unis. Il a été même formé contre les États-Unis, qui voulaient appliquer à l’Amérique centrale des solutions militaires, au moment de la révolution sandiniste au Nicaragua. C’est de là qu’est venue cette prise de conscience d’intérêts communs qui ne sont pas ceux des États-Unis. Mieux, ils ont fini par se faire accepter par Washington. On voit bien également que, dans le cadre de l’Unasur (Union des nations sud-américaines), les pays latino-américains mettent en œuvre des programmes en commun (comme les infrastructures routières) ou résolvent des problèmes locaux. Bolivar y pensait déjà. Mais il a fallu deux siècles pour arriver jusque-là.


Entre l’Amérique latine et les États-Unis, il y a un point sensible  : Cuba.

Alain Rouquié.


C’est vrai. La question est très sensible. Il est intéressant de relever dans la dernière période que c’est un gouvernement de droite, le Mexique, qui a fait clairement entendre que Cuba devait être accepté dans le concert des nations sud-américaines. Cuba est entré dans le groupe de Rio sous la présidence mexicaine. Tous les dirigeants ont fait savoir aussi qu’ils étaient opposés à l’embargo prolongé par Obama sans discussion. Il y a une solidarité entre les pays latino-américains qui partagent beaucoup de valeurs, d’histoire et de patrimoine commun. C’est irréductible à la relation avec les États-Unis. Même s’il est évident que beaucoup de Latino-Américains aimeraient mieux plus de démocratie dans l’île, il est vrai que Cuba garde une aura. Cuba est des leurs, on peut ne pas être d’accord mais c’est notre famille, disent-ils. Les Cubains ont longtemps résisté aux Américains. C’est notre petit frère, il ne faut donc pas y toucher.

 


Entretien réalisé par Bernard Duraud

(*) À l’ombre des dictatures. La démocratie en Amérique latine. Éditions Albin Michel, décembre 2009.

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