
Mireya Castañeda granma
• UN an représente peu de chose dans la vie. Mais quand on observe ce qui s’est passé durant cette brève période, ne serait-ce que dans le domaine culturel, on s’aperçoit qu’elle a laissé une empreinte profonde dans la mémoire de beaucoup.
C’est précisément ce mot «beaucoup» qui, à Cuba, fait la différence. Durant toute l’année dernière, c’est le public, le spectateur, le lecteur, le cinéphile, le mélomane, le passionné de danse, qui ont été les véritables acteurs de toutes les manifestations artistiques qui se sont produites. Les foires, festivals, concerts, prix, disques, artistes invités, prennent tout leur sens quand on sait l’engouement qu’ils ont suscité parmi la population de l’île, avec des millions de passionnés de culture.
N’oublions pas, non plus, que cette année 2009 a aussi été marquée par le 50e anniversaire de deux institutions, la Casa de las Américas et l’Institut cubain de l’art et de l’industrie cinématographique (ICAIC).
LE CINEMA
Avec l’attribution, le 24 mars, à Alfredo Guevara de l’Ordre José Marti, la plus haute distinction de l’Etat cubain, hommage était rendu à toute l’histoire du cinéma révolutionnaire cubain en défense de l’œuvre révolutionnaire, la transformation de la vie spirituelle de notre peuple et la préservation de la mémoire historique.
Le général d’armée Raul Castro, président du Conseil d’Etat et du Conseil des ministres, a remis la décoration à Guevara, un des fondateurs de l’ICAIC.
Rien n’est plus révélateur que cette enquête réalisée, en 2009, sur les 100 meilleurs films de cinéastes ibéro-américains, où Tomas Gutiérrez Alea, dit Titon (1928-1996), arrive en tête pour son film Mémoires du sous-développement (1968), à l’occasion précisément du 40e anniversaire de sa sortie.
Le 50e anniversaire de l’ICAIC ne pouvait pas mieux tomber car cette année 2009 a été particulièrement prolifique, avec des longs métrages d’une extrême diversité du point de vue thématique, avec des genres et des styles différents, et des réalisateurs appartenant à différentes générations. Citons La anunciacion, du cinéaste et prix national de cinéma, Enrique Pineda Barnet; El cuerno de la abundancia (La Corne d’abondance), de Juan Carlos Tabio, et deux premiers films, Los dios rotos (Les dieux brisés), d’Ernesto Daranas, et Ciudad en rojo, de Rebeca Chavez.
Lors du 31e Festival international du nouveau cinéma latino-américain, ont obtenu des prix Corail El premio flaco/Iraida Malberti, Huan Carlos Cremata Malberti, et Lisanka/Daniel Diaz Torres.
Le Festival de cinéma est un événement à part. Pendant dix journées intenses, on peut voir les meilleurs films de la région, ceux de la compétition, mais aussi des films en provenance d’autres pays. Lors de la récente édition, la Section officielle comportait à elle seule 110 films, et la Section «hors compétition», plus de 170.
El secreto de sus ojos, le film le plus récent de l’Argentin Juan José Campanella, joué par des acteurs célèbres tels que Ricardo Darin (Corail du meilleur acteur), Guillermo Francella et Soledad Villamil, a été choisi pour ouvrir le festival, avant de remporter finalement le prix spécial du jury.
Nous avons déjà publié tous les prix, mais rappelons l’essentiel: La teta asustada de la Péruvienne Claudia Llosa, a remporté le prix Corail de fiction et Catalina Saavedra le Corail de la meilleure actrice pour La Nana (Chili).
Cuba a dû se consoler avec la majorité des onze prix décernés par des institutions et des organismes cubains liés au monde de la culture, des journalistes spécialisés et des critiques: quatre d’entre eux sont revenus à Juan Carlos Cremata pour El premio flaco.
Il faut souligner la présence au Festival de trois Nord-américains, le cinéaste Curtis Hanson (L.A. Confidencial); Robert Kraft, président de la compagnie Fox Music Inc. qui a donné une conférence magistrale sur la relation musique/cinéma, et le guitariste et compositeur Gary Lucas qui a joué en direct, en première mondiale, la bande sonore du film Dracula (version latino).
L’année 2009 a vu aussi débarquer à La Havane quatre détenteurs d’Oscars, James Caan, Robert Duvall, Bill Murray et Benicio del Toro, l’acteur portoricain qui a reçu le prix international Tomas Gutiérrez Alea, décerné pour la première fois par l’Union des écrivains et artistes de Cuba (UNEAC).
Deux autres stars d’Hollywood, Danny Glover et Harry Belafonte, ont voyagé dans l’île à l’occasion de l’inauguration de la Casa del Cine del Caribe.
LA MUSIQUE
La musique a été présente tout au long de l’année. L’événement culte a sans doute été le Concert Paix sans frontières à La Havane. L’idée du Colombien Juanes avait, pour le moins, suscité la polémique. Et cependant… des stars internationales de la balade, du rock, de la fusion, de la pop, du mérengué et de la salsa ont chanté sur la Place de la Révolution devant 1 150 000 Cubains.
Leurs noms? La charismatique diva portoricaine Olga Tañon; l’Espagnol Miguel Bosé; Carlos Varela; Juanes lui-même; Silvio Rodriguez, les Espagnols Luis Eduardo Aute et Victor Manuel; le Portoricain Danny Rivera; le groupe hip-hop Orishas; Cucu Diamantes et le groupe Yerba Buena; l’Italien Jovanotti; X Alfonso; l’Equatorien Juan Fernando Velazco; Amaury Pérez et Los Van Van.
Le concert s’est terminé en apothéose avec Los Van Van, qui, en compagnie de tous les chanteurs, ont repris en chœur la célèbre chanson Chan Chan, de l’inoubliable Compay Segundo.
Deux productions discographiques de haute tenue artistique, Gracias et Juntos para siempre, d’Omara Portuondo et de Bebo et Chucho Valdés, respectivement, ont remporté tous les deux des Grammy Awards qui sont décernés aux Etats-Unis, et cela malgré tous les obstacles, aussi bien politiques et commerciaux, qui durant des dizaines d’années faisaient passer la qualité musicale au second plan.
Le Grammy Latino du meilleur album tropical contemporain a été décerné à Omara pour Gracias, et le second, dans la catégorie du Meilleur album latino, a été attribué à Chucho Valdés et son père, Bebo, pour le disque Juntos para siempre.
Avec Gracias, Omara avait déjà remporté le grand prix de CUBADISCO, avec Juan Formell et Los Van Van pour Aqui el que baila gana, un album qui débute par Chapeando et qui continue avec certains des plus grands succès de la formation, El baile del buey cansa’o, Anda ven y muevete, El negro esta cocinando, Marilu, etc., des chansons qui ont fait danser des générations de Cubains.
Une autre manifestation musicale de 2009 a été la 25e édition du Festival international de Jazz Plaza, qui, selon son président, Chucho Valdés, a démontré au monde entier que Cuba continue d’être la reine du jazz latino.
Quant aux musiciens étrangers qui se sont produits ici, citons en premier lieu le groupe nord-américain Kool and The Gang; le célèbre groupe mexicain de rock Café Tacuba et le chanteur et compositeur français d’origine espagnole, Manu Chao.
Il faut aussi évoquer des disparitions qui ont ému beaucoup de monde; celle de Michael Jackson, dont l’album Thriller s’est vendu à plus de 41 millions d’exemplaires, et celle de Mercedes Sosa, voix légendaire de la chanson latino-américaine, aux chansons inoubliables telles que Gracias a la vida ou Cuando tenga la tierra.
LA LITTERATURE
On a d’abord fêté, cette année 2009, le 120e anniversaire de L’Age d’Or, une revue mensuelle de 32 pages dont l’unique rédacteur était José Marti, le héros de l’indépendance cubaine.
Un autre anniversaire qu’on ne peut passer sous silence: il y a 80 ans le Vénézuélien Romulo Gallegos écrivait Doña Barbara, le roman le plus célèbre de son pays.
Passons maintenant à la Casa de las Américas, fondée, en avril 1959, par Haydée Santamaria, héroïne de l’attaque contre la caserne Moncada en 1953, de la lutte clandestine urbaine et guérillera dans la Sierra Maestra, qui, par ce geste, visait une plus grande intégration de l’Amérique latine.
Cela fait 50 ans que la Casa fait le lien entre Cuba et les pays latino-américains et caribéens; qu’elle diffuse le meilleur de la culture de notre Amérique et qu’elle favorise le rapprochement entre ses créateurs.
Dès l’année de sa fondation est créé le célèbre concours littéraire qui allait devenir bientôt le prix littéraire Casa de las Américas, aujourd’hui indissolublement lié à l’histoire de la littérature latino-américaine et caribéenne.
Voici quelques écrivains dont les noms sont inséparables de l’histoire de la Casa: Alejo Carpentier, Ezequiel Martinez Estrada, Manuel Galich, Harold Gramatges, George Lamming, Juan José Arreola, Julio Cortazar et Mario Benedetti, dont la mort, cette année, a plongé dans le deuil le monde des lettres latino-américaines.
Une autre disparition, celle de Cintio Vitier, a été vivement ressentie: il laisse une œuvre poétique impérissable; il était aussi un excellent essayiste et un grand spécialiste de l’œuvre de José Marti.
Jetons un œil maintenant de l’autre côté, celui du lecteur. Cette année s’est déroulée la 18e édition de la Foire internationale du livre de Cuba, avec le Chili comme invité d’honneur. Elle a été inaugurée par la présidente chilienne, Michelle Bachelet, et le président cubain, Raul Castro, lors d’une cérémonie qui s’est déroulée à la Forteresse de San Carlos de la Cabaña.
Le lecteur cubain, connu pour son amour des livres, n’avait que l’embarras du choix: 6 millions de livres et 1 000 nouveaux titres.
La Foire du livre est devenue la manifestation culturelle la plus importante de l’île. Une véritable fête pour la famille, avec plus de 4 millions de visiteurs dans les 16 villes qui l’accueillent.
LE BALLET
Il n’est pas exagéré d’affirmer, pour qui connaît un peu la vie culturelle à Cuba, que le ballet n’est pas ici un art réservé à l’élite. On s’en est rapidement rendu compte lorsque le Royal Ballet de Londres s’est produit à La Havane, cette année. Aussitôt, c’est le branle-bas de combat en ville, comme cela s’est produit lors du Festival international de ballet.
En guise d’entrée en matière, le Royal Ballet a offert Chrome, d’après une chorégraphie de Wayne McGregor, et Un mois à la campagne, sur une chorégraphie du grand Frederick Ashton. Un hommage a été rendu, à cette occasion, à la «prima ballerina assoluta» Alicia Alonso, avec la pièce Thème et variations, que George Balanchine avait créée pour elle et pour Igor Youskevitch, en 1947. En clôture du spectacle, le Royal ballet présenta une spectaculaire Manon, sur une chorégraphie de Kenneth MacMillan, désormais un classique du 20e siècle, avec la danseuse espagnole Tamara Rojo et le danseur cubain Carlos Acosta.
La compagnie Sasha Waltz and Gusts, considérée comme la meilleure ambassadrice de la danse contemporaine de l’Allemagne, s’est également produite à La Havane à l’occasion du 50e anniversaire de la création de la Compagnie de danse contemporaine de Cuba.
Il est bon de rappeler que le 19 février 1960, la Compagnie de danse contemporaine de Cuba présentait ses premiers spectacles: Mulato et Mambi, deux titres particulièrement évocateurs, sur des chorégraphies de Ramiro Guerra, ainsi que Etude des eaux, de la Nord-américaine Lorna Burdsall
Le danseur et professeur Miguel Iglesias dirige la Compagnie de danse contemporaine depuis 21 ans. Il a travaillé en collaboration avec d’autres créateurs, comme le Hollandais Jan Likens, auteur de Folia et Compas, l’Algérien Samir Akika, qui a monté Nayara, mira pero no toques, le Catalan Rafael Bonachela, qui a chorégraphié Demon-Crazy, et plus récemment avec le Suédois Mats Ek, qui a monté le ballet Casi-casa.
Par ailleurs, nous avons eu à déplorer, en 2009, la mort de la prestigieuse chorégraphe allemande Pina Bausch, fondatrice de la compagnie Tanztheater de Wuppertal, une perte immense pour la danse internationale.
LES ARTS PLASTIQUES
Cette année, nous avons accueilli la 10e Biennale de La Havane, un événement prestigieux de renommée internationale, organisé par le Centre Wifredo Lam.
A cette occasion, La Havane s’est transformée en une immense galerie d’art, avec plus de 100 espaces consacrés à cet événement. Plus de 300 artistes provenant de 54 pays ont participé à la Biennale, sans compter les artistes cubains.
La Casa de las Américas a, pour sa part, dédié l’année 2009 à l’ «art cinétique», soulignant ainsi les nouvelles tendances en art contemporain.
Une première exposition, intitulée De l’abstraction… à l’art cinétique, a été organisée avec la participation d’artistes originaires d’Argentine, du Brésil, de Colombie, d’Equateur, d’Espagne, de Hongrie, du Mexique, de Roumanie, de Cuba et du Venezuela. D’autres expositions ont eu lieu, et elles dureront jusqu’en janvier 2010, comme celles de la Chilienne Matilde Pérez, des Argentins Leon Ferrari et Rogelio Polesello, du Vénézuélien Carlos Cruz-Diez, de Luis Tomasello (Argentine-France), et du grand maître Julio Le Parc, qu’on peut encore visiter.
La Havane ne pouvait oublier l’art du futur. Aussi le Centre culturel Pablo de la Torriente Brau a-t-il organisé la 10e édition du Salon et du Concours de l’art digital.
LE THEATRE
Les arts de la scène ont aussi connu leur moment de gloire, avec le 13e Festival international du Théâtre de La Havane, auquel ont participé plus de 60 compagnies nationales et internationales
71 spectacles ont été offerts, sur une trentaine de scène qui ont accueilli plus de 75 000 spectateurs. Dans bien des cas, il a fallu refuser du monde.
L’année 2009 a donc été fertile en événements de toutes sortes, spectacles, concerts, concours divers, foires et festivals, qui se sont tous distingués par leur grande qualité. •
LES PRIX DECERNES EN 2009
• Un très grand nombre de prix ont été remis cette année dans différentes disciplines, qui attestent de la vigueur et de la diversité de la vie culturelle à Cuba.
Lorna Burdsall (Etats-Unis, 1928): danseuse et chorégraphe, elle avait déjà remporté le prix national de la Danse 2008. En 2009, elle a reçu le prix de l’Enseignement artistique, «pour son travail rigoureux dans la formation professionnelle de plusieurs générations et pour sa grande humanité».
Ramiro Guerra: Déjà lauréat du prix de la Danse et de celui de l’Enseignement artistique, il a reçu celui de la Recherche culturelle pour ses nombreux écrits sur la danse moderne et les particularités de la pratique du ballet à Cuba.
Ambrosio Fornet: Cet écrivain, auteur de A un paso del diluvio, En tres y dos, La coartada perfecta et de l’essai El libro en Cuba; siglos XVIII y XIX, a reçu le prix de Littérature pour «son apport remarquable à la culture nationale dans les domaines de l’essai, de la critique, de l’édition, des études littéraires et du livre en général, ainsi que pour sa contribution intellectuelle».
Nelson Dominguez: Cet artiste a reçu le prix des Arts plastiques. Peintre, sculpteur, graveur, il est un des artistes les plus représentatifs de la peinture cubaine contemporaine. Son œuvre, teintée d’allégories et de symboles, parle de l’engagement socioculturel de l’artiste, des rapports entre l’homme et l’univers dans lequel il vit. Créer est, pour lui, «une nécessité première».
Carlos Pérez Peña: Le jury a accordé le prix du Théâtre à «cet homme de la scène qui est devenu une référence incontournable en la matière… C’est une personne qui nous apprend à vivre et à bien faire les choses».
Leo Brouwer: Compositeur, guitariste et chef d’orchestre, il a obtenu le Prix Cinéma 2009 pour sa contribution importante au langage cinématographique. L’œuvre de ce grand musicien est étroitement liée aux films qui ont marqué notre cinématographie, comme Mémoires du sous-développement et La dernière scène, de Tomas Gutiérrez Alea, de même que Lucia et Cecilia, de Humberto Solas, entre autres.
Teresita Fernandez: Elle a reçu le Prix national de Musique pour «la richesse du répertoire musical de cette chanteuse, pour son enseignement et son dévouement envers la chanson porteuse des valeurs humaines les plus nobles». Mi gatico Vinagrito, Tin tin la lluvia, Lo feo, Amiguitos vamos todos a cantar, sont quelques-unes des chansons qui font désormais partie du patrimoine musical cubain et latino-américain.
Isidro Rolando: Régisseur de la Compagnie de danse contemporaine de Cuba, également danseur, chanteur et chorégraphe, il a remporté le prix de la Danse. Rolando s’est illustré dans des ballets classiques comme Sulkary ou Panorama, et il a assumé la chorégraphie du non moins classique Rapt des mulâtres, entre autres.