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Par: Virginia Alberdi Benítez |
Cubarte |
17 de Avril, 2009 |
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Le titre de l'œuvre peut être aussi traduit comme « Une partie du temps à Wall Street ». Bien qu´elle date de l'année 2000, elle pourrait être daté de 2008 ou même de 2009. C´est une peinture soigneusement réalisée, très proche du langage du pop, mais avec un niveau d´élaboration conceptuelle qui surpasse les marques habituelles de cette tendance. L´intention ironique est visible : les grands nuages de la tempête de couleurs planes bien définis contiennent des graduations statistiques rappelant des rayons et la foudre. Wall Street, comme nous le savons, est un des centres boursiers qui dicte les règles du système capitaliste mondial, le visage dur de l´empire nord-américain. Hervé Fischer, philosophe et sociologue de grand impact médiatique, en plus d'artiste, a dit : « La planète est devenue financière. Nous adorons le veau d´or et les démons de l´ère numérique. Aujourd´hui, Goya ne peindrait plus la cour d´Espagne ni les horreurs de la guerre, Ingres ne peindrait pas de nus, ni Claude Monet des nénuphars, ni Van Gogh le soleil, ni Malevitch des cadres noirs, ni Mondrian des géométries, ni Picasso des natures mortes. Ils peindraient des paysages financiers, des diagrammes qui montent vers le ciel et, plus souvent, descendent aux enfers : l´économie et les finances sont devenues notre Dieu, notre corps, notre nature, notre vie intérieure et notre imaginaire. Numérique et numéraire se croisent et se recouvrent, exaltant ou menaçant fiévreusement notre nouvelle image du monde ». Quand il a exprimé le susmentionné, nous étions loin de supposer - bien que les plus rigoureux observateurs l´eussent observé - une telle crise catastrophique comme celles que vit le monde, déchaîné par le démesuré désir de lucre et l'impitoyable spéculation financière.
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«.... Et que malgré les naufrages, le voyage en vaut la peine.» (Eduardo Galeano)
Dans l'Airbus blanc et bleu de mer qui me ramène à Montréal, une cinquantaine de jeunes Québécois reviennent d'un séjour de trois semaines dans l'île. Ils ont une quinzaine d'années et ont revêtu le chandail rouge qui identifie la coopérative internationale ARO de Colette Lavergne, qui se dévoue depuis des années à faire connaître la réalité de Cuba à de nombreux groupes d'étudiants du Québec. Ceux-ci ont bonne mine, ils chantent, se rappellent les événements marquants de leur séjour pendant lequel ils en ont appris un peu plus sur la Révolution cubaine, en réalisant des travaux aux champs, en vivant chez l'habitant et en visitant certains lieux historiques. Lorsque l'avion se pose sur la piste d'atterrissage de Dorval, ils entonnent spontanément «Ce n'est qu'un au revoir, mon frère...» Ça change des remarques désobligeantes souvent entendues de touristes qui croyaient se retrouver dans un Club Med et manger tous les jours un steak frites... ou des poutines bien grasses, comme à Old Orchard.
Depuis mon retour, je ne sais plus combien de fois j'ai dû répondre à la question: «Et puis, que va-t-il se passer à Cuba maintenant?» Ou même: «Va-t-il y avoir une révolte?» Une inquiétude qui pourrait, à la limite, être normale si elle n'était alimentée à la fois par tous ceux qui crachent sur Cuba et par tous les désillusionnés des luttes anticapitalistes, ceux qui trouvent maintenant ringard de croire qu'un monde meilleur est encore possible. Ça fait bien du monde, je l'admets.
C'est vrai que Cuba n'a plus la cote aujourd'hui dans les pays occidentaux et chez les intellectuels qui, dans les années soixante, l'avaient bruyamment appuyée. C'est aussi vrai que même si l'économie néolibérale s'écroule aujourd'hui dans ce château fort qui l'a vu justement naître, les États-Unis, personne n'ose affirmer pourtant que c'est bien là l'exemple que le capitalisme ne fonctionne pas et que ce n'est pas la faute ni à Fidel, ni à Chavez, ni à Lula, ni à Morales. On préfère se fermer les yeux sur cet échec lamentable du capitalisme, où des millions de personnes ont été flouées et ruinées, sans juger, sans condamner, sans analyser, et garder tout de même un œil accusateur sur la Révolution cubaine qui, après 50 ans, n'a pu triompher dans tous les domaines souhaités.
Je ne veux pas revenir sur les raisons de ces difficultés qu'a dû affronter Cuba depuis 50 ans, j'en ai souvent parlé dans cette chronique, et tout cela est bien documenté pour qui se donne la peine de chercher le moindrement, mais simplement rassurer les inquiets ou ceux qui souhaiteraient que Cuba «change».
Oui, Cuba change, non Cuba ne reviendra pas en arrière. Cela résume bien l'état d'esprit des dirigeants et de la population. Le reste, c'est comme rentrer dans la cuisine de celui qui nous invite à manger et remettre en question la façon dont il confectionne ou assaisonne ses plats. C'est manquer totalement de savoir-vivre. Voit-on les dirigeants cubains intervenir ici en favorisant le Bloc Québécois ou en ridiculisant la façon dont Jean Charest entend nous sortir de la crise annoncée?
Cinquante ans, c'est une goutte d'eau dans l'histoire de l'humanité. Il reste encore beaucoup à faire et à défaire à Cuba. Et cela se réalisera de la façon dont les Cubains l'ont décidé, à leur rythme, sans jamais remettre en question les acquis de la Révolution. Ce qu'on constate à Cuba, c'est que la transition vers le socialisme n'est pas encore achevée, qu'il reste encore des efforts considérables à faire pour avancer, améliorer, inventer et construire. Tout le monde en est conscient, comme tout le monde est conscient qu'il n'est pas question de perdre sa souveraineté au profit du grand empire situé à 90 milles des côtes cubaines. Et que finalement, l'Amérique latine donne aujourd'hui raison à Cuba et lui ouvre de plus en plus ses portes, malgré le blocus et au grand déplaisir des stratèges de l'empire.
chronique de Jacques Lanctôt tiré du site Québécois canöe La Havane au jour le jour (5)
Tout à l'heure, un jeune Djiboutien venu étudier l'ingénierie à La Havane me racontait les malheurs de la Somalie, pays voisin au sud de Djibouti.
Un pays sans véritable gouvernement depuis des années, où règnent l'anarchie et la loi du plus fort. On tue, on rentre tranquillement chez soi et on s'en sort sans procès.
C'est ça, la loi de la jungle et cette loi assassine est aussi appliquée ailleurs, à Gaza par exemple. En ce moment a lieu une manif en faveur du peuple palestinien, devant l'Université de La Havane, au pied de ces marches où des étudiants, il y plus de 50 ans, étaient assassinés par les sbires du dictateur Batista. J'entends la musique et les chansons, puis les discours. Cela se passe tout près de la maison que j'habite.
Mais n'empêche, en ce moment, je me sens soudainement loin des souffrances du peuple palestinien et des bombes israéliennes, dont certaines au phosphore et à l'uranium, plus meurtrières et sales que les autres, qui pleuvent sur la bande de Gaza. Loin du Congo et de ses centaines de milliers de morts inutiles, injustes, barbares, de Haïti exsangue dans la mer des Caraïbes et du Zimbabwe dans le cône sud-africain qui agonise à cause des grandes puissances qui lui nient toute forme d'aide pour mieux l'asphyxier. Loin des malheurs centenaires du monde. Loin de toutes les injustices insupportables. Loin du froid qui mord littéralement la peau des Québécois et des factures astronomiques de chauffage qu'il faudra bien payer un jour pour avoir dû nous chauffer à l'huile, au gaz, à l électricité ou au bois (le chauffage entre décembre et mars devrait être gratuit, c'est un service public essentiel!), pour pouvoir réchauffer nos cœurs endoloris par tout ce froid qui nous éloigne de la chaleur des corps.
Et ce n'est pas par désintéressement, par égoïsme ou par manque de solidarité. Tout est relatif. On oublie tout à coup le blocus étasunien contre Cuba, on pense à Fidel dont on est sans nouvelle depuis près d'un mois, depuis qu'il a cessé d'écrire ses billets quotidiens dans le journal Granma. Un silence inquiétant qui donne libre cours à toutes les rumeurs. Certains disent qu'il va ressusciter bientôt, que ce silence est stratégique et salutaire à la fois, parce que Fidel, c'est un caballo (cheval). D'autres craignent le pire tout en se disant qu'on doit tous y passer un jour et que Fidel, malgré sa stature gigantesque, est un humain comme tout le monde. Les Cubains ne sont pas mystiques, ils sont pragmatiques avant tout, avec un brin de philosophie et de donquichottisme enfoui au plus profond d'eux-mêmes.
Soudain, une profonde joie de vivre nous emplit. Une rage, plutôt. On va se promener, comme des centaines de Cubains le font, sur le malecon, le regard tourné vers la mer. Le salpêtre nous brouille un peu la vue, le grand air nous étourdit.
Comme disent les Cubains, il faut prendre tout ce qui passe, on ne sait pas de quoi sera fait demain. Fidel s'en ira comme tous les humains le font, on le pleurera, on le regrettera, on lui pardonnera quelques erreurs de parcours, parce qu'il aura tout donné pour son pays et qu'il n'a pas cherché à s'enrichir, parce qu'il n'y a pas d'université pour apprendre à construire le socialisme en situation de blocus économique.
Parce que Fidel a défendu bec et ongles les siens, son peuple bien-aimé. Parce qu'il n'a pas de compte bancaire en Suisse, parce qu'il s'est marié un jour et pour toujours avec la Révolution, parce qu'il vit actuellement dans un dénuement qui l'honore, comme l'a dit une des dernières personnes étrangères à l'avoir vu, la poète et journaliste argentine Stella Calloni1.
La Révolution, c'est aussi cela: un groupe d'élèves et d'étudiants vêtus de leur uniforme de différentes couleurs, qui les différencient non pas de classe sociale, mais de niveau scolaire; ils sortent de l'école en s'interpellant comme s'ils ne s'étaient pas vus de la journée et se donnent rendez-vous dans quelques heures, non pas dans un café, mais au coin d'une rue; la vendeuse d'arachides qui déambule le long du malecon et qui doit bien avoir 70 ans; des musiciens improvisés, avec guitare, tambour et bouteille de rhum, qui font la fête un peu partout; le chant des oiseaux que j'entends le matin en prenant ma douche à l'eau froide (entendons-nous, elle n'a pas la température de l'eau qui sort du robinet au Québec); l'odeur du café que je savoure comme un cadeau du ciel chaque matin; un verre de guarapo (jus de canne à sucre) bien froid auquel j'ajoute du rhum; un air de nostalgie qui soudain m'habite et me mord dans ce que j'ai de plus sensible; un enfant, mon fils, qui tourne devant moi avec sa bicyclette, insouciant des problèmes qu'il devra immanquablement affronter ici ou là-bas; un rayon de soleil dans les cheveux de ma blonde avec, à l'arrière, la mer inondée d'étoiles.
Chronique de Jacques Lanctôt site Quebecois canoë
Note:
1. La présidente argentine Cristina Fernandez, en visite officielle à Cuba, s'est entretenue il y a quelques jours avec Fidel Castro, faisant ainsi taire les rumeurs émanant de Miami sur la mort du leader cubain.
Les fins de semaine sont nécessairement plus relax. Mais il y a une nécessité qui ne change guère, c'est de mettre en marche, très tôt le matin, chaque jour de la semaine, le moteur qui va permettre la montée de l'eau de la citerne souterraine au réservoir sur le toit de l'édifice, afin de permettre la juste répartition de l'eau, ce bien si précieux, entre les réservoirs situés dans chaque logement. Cette tâche nous incombe puisque nous sommes les occupants du rez-de-chaussée où est situé le moteur.
L'eau de la ville arrive un jour sur deux, pour remplir la citerne, et il faut nécessairement l'économiser pour que la réserve d'eau dure 48 heures. Quand on pense qu'il y a des îles tout autour de Cuba qui n'ont pas accès à l'eau potable, à Haïti par exemple, où de nombreuses maladies mortelles et des épidémies subsistent à cause justement de l'absence d'eau potable, on se dit qu'on est bien chanceux de pouvoir recevoir à la maison cette eau si précieuse, quitte à l'économiser. Pour un Québécois habitué à l'abondance et au gaspillage, cela demande une certaine discipline, mais on s'y fait rapidement, car on n'a pas le choix.
Il faut profiter du samedi pour faire le tour des petits marchés publics tout autour de la maison, afin de faire le plein de fruits et de légumes. Ceux-ci n'abondent pas nécessairement depuis le passage des derniers cyclones, mais avec un peu de chance et de patience, on peut dénicher un ananas, des oranges, du melon d'eau, des citrons verts, entre des piles de goyaves et de papayes. Pas mal tout de même. Et tout cela, «made in Cuba»!
Pour mon fils de trois ans et demi, on a le choix entre une pièce de théâtre au Théâtre Guignol, un film pour enfant précédé d'un spectacle de clowns, de danse, de chansons et de marionnettes, au Riviera, une visite au cirque, au zoo, à l'aquarium, au parc d'attractions, etc. Je suis toujours étonné devant le sans-gêne des enfants cubains. Il suffit qu'une animatrice demande s'il y a des enfants qui veulent participer à un jeu, à des devinettes, à une danse pour que les 222 enfants présents dans la salle se précipitent sur scène pour se faire voir et entendre.
Le mien doit avoir passablement de sang québécois dans les veines puisqu'il refuse de se prêter au jeu et il demeure près de moi, sans bouger, mais les yeux grand ouverts. Peut-être que la prochaine fois... Ces spectacles ne coûtent rien ou presque. J'ai vu ici plusieurs pièces de théâtre pour enfants et je suis persuadé que le théâtre du Carrousel de Suzanne Lebeau ou celui des Bouches décousues de Jasmine Dubé seraient fort bien acceptés et y trouveraient un public chaleureux.
Sur le trottoir, ou même carrément dans la rue, des hommes jouent aux échecs ou au domino sur de petites tables brinquebalantes. Chaque fois, des curieux et des fidèles s'agglutinent autour des joueurs, sans que cela vienne déconcentrer ceux qui s'affrontent. Ici l'affrontement est à la fois sérieux et joyeux.
Ailleurs, d'autres hommes jouent au mécano. Les mains couvertes d'huile et de graisse, ils fouillent les entrailles de leurs énormes voitures, démontent pièce par pièce tout ce qui bouge mécaniquement.
Dans tous les cas, il s'agit de vieilles voitures américaines des années cinquante, Chevrolet, Ford, Studebaker, Buick, Chrysler, etc., des petits bijoux aux couleurs vives, dont l'intérieur, je parle du moteur et des autres accessoires, a été entièrement refait avec des pièces de Lada. Ici la Lada a toujours bonne réputation. On dit qu'il s'agit d'une auto fiable et robuste et seuls les Cubains peuvent s'en procurer. En d'autres mots, un étranger ne peut en faire l'acquisition. La Lada au Québec a fait long feu, mais pas ici, grâce peut-être au sens de la débrouillardise des Cubains, qui ne fait plus de doute.
Un peu partout les bougainvilliers d'un rouge vif sont en fleurs, certains atteignent même la taille d'un arbre, c'en est époustouflant. J'en voudrais un dans ma cour! Ici et là, d'autres arbres et arbustes en fleurs, de toutes les couleurs, dont je ne connais malheureusement pas les noms. Bientôt ce sera le tour des flamboyants spectaculaires. Tout cela forme un paysage qui invite à la détente pour qui sait prendre la peine de s'arrêter et de regarder. Je comprends le frère Marie Victorin de s'être intéressé à la flore cubaine.
(À suivre)
La suite des chroniques ce week end
Chronique de Jacques Lanctôt
Avant de quitter la maison pour le travail, entre 7h30 et 8 heures, c'est un rituel, je prépare le café. Auparavant, on coulait le café dans un tissu.
J'aimais beaucoup cette méthode traditionnelle. J'avais l'impression qu'on y mettait toute son âme et que le café était un nouveau défi, chaque fois. Maintenant, la cafetière italienne a remplacé cette façon artisanale de faire le café. Je me verse ensuite mon premier café dans une petite tasse. Au début, je le prenais sans sucre, mais j'ai fini par abdiquer, car ici on sucre le café directement dans la cafetière. Je prépare ensuite le verre de lait de mon fils de trois ans et demi, qu'il boit tiède, avec un peu de chocolat en poudre lorsqu'il y en a à la maison.
Au travail, vers 10 heures, quelqu'un passera, bureau par bureau, pour nous offrir un café, sucré également. Puis, un peu plus tard, on annoncera la collation.
Vers 13 heures, nous nous rendons à la salle à manger, située dans l'autre édifice, une petite promenade d'à peine une minute. On reprend contact avec la chaleur et avec le soleil. Il faut aviser, la veille, si nous allons manger à la cantine le lendemain. La salle à manger comprend une vingtaine de tables et le service est effectué par trois ou quatre personnes. Le repas est aussi peu cher que l'autobus. Il y a toujours une soupe, un plat principal composé de riz - je dirais obligatoirement, car sans riz, ce ne peut être un véritable repas -, de haricots, noirs ou bruns, de poulet, de porc, de piccadillo (bœuf haché) ou de poisson, apprêtés de différentes façons, de «viandas»: pomme de terre douce, banane plantain, courge, manioc ou malanga, et finalement d'un dessert. Aucun alcool n'est servi. C'est dur pour mon moral, moi si habitué à mon verre de vin à chaque repas, mais je m'y fais!
En après-midi, une collation est également offerte. Vers 16 heures, c'est la fin de la journée, et tout le monde rentre chez soi. Entre-temps, nous aurons traduit quelques articles, vérifié à tour de rôle les traductions des collègues, corrigé les pages montées sur épreuves puis les pdf à l'ordinateur. Parfois, une courte réunion syndicale vient interrompre le rythme de notre travail. C'est le moment où tout un chacun y va de son commentaire et de ses suggestions, Italiens, Français, Québécois, Brésiliens, Anglais, Allemands, ainsi qu'une Étasunienne, parlant dans une langue commune, rassembleuse, l'espagnol. Ici la minorité que nous représentons n'oblige pas la majorité à parler cette langue soi-disant universelle, l'anglais, et ce n'est que pur bon sens.
Ainsi va la vie d'un modeste traducteur qui n'en est pas à ses premières armes puisque déjà, à l'époque de mon exil, au début des années soixante-dix, je travaillais au même Granma, situé alors dans un autre édifice, près de la Place de la Révolution. Mais trente ans plus tard, ce sont les mêmes gestes, les mêmes rituels, même si l'ordinateur est venu remplacer la machine à écrire et le moteur de recherche google le dictionnaire papier, facilitant d'autant le travail.
Cuba a certes changé depuis ces années de fortes poussées révolutionnaires, alors que l'Amérique latine était secouée de bord en bord par des mouvements de guérilla qui ont presque tous été écrasés dans le sang. Ne subsistent, dans les faits, que les FARC colombiennes. Mais n'empêche, cette même Amérique latine, après avoir connu dictatures et gouvernements autoritaires, s'est profondément modifiée en élisant un peu partout des gouvernements de gauche. Elle vient même d'ouvrir la porte à Cuba lors de différents sommets politiques et économiques, sans que les États-Unis soient invités à la table des discussions. La marginalisation de la Révolution cubaine est désormais chose du passé et la nouvelle administration étasunienne devra en tenir compte.
Le journaliste du Devoir, Guy Taillefer, ne semble pas, lui, le comprendre en qualifiant la Révolution cubaine d'anachronique, dans un article récent publié à l'occasion du 50e anniversaire de cette Révolution et en banalisant à l'extrême le blocus économique et politique qui affecte dramatiquement cette petite île des Caraïbes depuis près de 50 ans: «Un embargo commercial qui, du reste, n'est plus depuis plusieurs années qu'un épouvantail brandi des deux côtés du détroit de Floride à des fins politiques», affirme ce journaliste nourri au pablum et à la nourriture prémâchée des grandes agences de presse internationales.
Or, les pertes matérielles dues au blocus sont évaluées à plusieurs milliards de dollars, sans parler des pertes en vies humaines que cela a provoquées à cause de l'impossibilité de se procurer certains médicaments. Des balivernes que tout cela? Pour Guy Taillefer, qui manifestement lit les nouvelles sur un télésouffleur, il semble bien que oui. S'il y a bien quelque chose d'anachronique dans le monde aujourd'hui, c'est cette politique génocidaire des États-Unis vis-à-vis Cuba.
Y a-t-il quelque chose de plus ridicule qu'un cubanologue patenté qui, prétendant analyser une situation complexe, renvoie dos à dos David et Goliath, comme s'il s'agissait de bonnet blanc, blanc bonnet?
Chronique de jacques Lanctôt
Je suis à La Havane depuis une quinzaine de jours.
Tous les matins de la semaine, je me rends au journal Granma international, un hebdomadaire destiné aux lecteurs de l'étranger, publié en français, en anglais, en espagnol et en portugais, qui devient un mensuel en italien, en allemand et aussi en turc, je crois.
J'y effectue, avec une petite équipe, la traduction de textes choisis parmi les nouvelles de la semaine parues dans le quotidien du même nom. Ce n'est pas un travail éreintant, mais il exige tout de même beaucoup d'attention et de précision, car une phrase mal traduite peut créer un contresens qui pourrait éventuellement avoir de lourdes conséquences, on peut facilement l'imaginer, étant donné qu'il s'agit d'un journal officiel. Aussi, tous les discours de Fidel, toutes ses «réflexions» qu'il avait pris l'habitude d'écrire presque tous les jours pour les lecteurs du Granma, depuis que la maladie l'a éloigné de la direction du pays, sont traduits par la même personne depuis des années, un Français qui n'est cependant pas à l'emploi du Granma. Par contre, j'ai traduit en équipe cette semaine mon premier discours de Raul, beaucoup moins long que ceux auxquels Fidel nous avait habitués. Deux styles différents, deux façons d'aborder la réalité cubaine, mais qui se complètent heureusement.
Pour me rendre au journal, un collègue français me prend tous les matins à un coin de rue de chez moi. Il donne également un «lift» à une traductrice anglaise, venue directement d'Angleterre il y a six ou sept ans. Le trajet dure à peine dix minutes. Ici il n'y a pas vraiment d'heure de pointe. Cela ferait drôlement l'affaire de l'ami Yves Desautels que j'imagine peinant actuellement dans les bancs de neige de Montréal pour annoncer les conditions routières sur l'île et autour de l'île aux auditeurs de Radio-Canada, tous les matins et tous les après-midi de la semaine.
Chemin faisant, nous doublons de nombreux autobus modernes, les «métrobus» chinois ou brésiliens, bondés de travailleurs. Le transport en commun, une priorité depuis deux ans à Cuba, a nettement été amélioré, diminuant les retards au travail, une vraie calamité jusqu'à tout récemment. Pour remplacer les nombreux «camellos» (chameaux), surnommés ainsi en raison de leur élévation ou leur bosse, des autobus articulés bien entretenus vont et viennent à travers la ville sans peine malgré l'étroitesse de certaines rues. L'autobus coûte moins de un cent de un dollar. Bien sûr, si on tient compte des 23 jours de travail en moyenne par mois, cela finit par représenter une petite portion du salaire, déjà bas, des Cubains, mais il faut aussi savoir que la majorité des centres de travail ont leur propre service de transport qui accommode leurs travailleurs. Ce sont bien souvent à bord d'anciens autobus scolaires jaunes qu'ils se rendent à leur travail. Ces autobus proviennent presque tous du Québec. Ils ont même gardé leur signalisation bilingue française et anglaise, et c'est, dans ce cas-ci, l'ami Daniel Côté, des Ameublements Elvis, qui les a vendus et, dans certains cas, donnés au gouvernement cubain.
Les bureaux du Granma international sont situés juste à côté de l'édifice du Granma quotidien, en biais avec le ministère des Forces armées révolutionnaires. L'imprimerie se trouve entre les deux. Rien à voir avec le modernisme et les équipements sophistiqués du Journal de Montréal ou de La Presse. Peu importe, tout fonctionne comme sur des roulettes et on monte encore les pages sur les marbres ou tables lumineuses où il nous faut effectuer une dernière révision avant de donner le bon à tirer. De temps en temps, des rouleaux de papier journal provenant des moulins de l'Abitibi-Bowater au Québec, sont déchargés sur le trottoir avant d'être acheminés à l'intérieur de l'imprimerie. Ça me fait une petite fierté de savoir que notre papier, provenant de nos forêts, sert à imprimer le journal pour lequel je travaille actuellement. Mais j'imagine qu'il ne faut pas le crier sur les toits, car le gouvernement étasunien pourrait sévir contre cette compagnie, grâce à sa loi d'extraterritorialité qui lui donne des pouvoirs extraordinaires, ceux d'intervenir contre des compagnies non étasuniennes qui font affaire avec Cuba.
(À suivre.)
Chronique de Jacques Lanctôt tiré du site canoë du Québec