Annie Arroyo
Le 26 décembre dernier, le Miami Herald publiait sous la plume de Jay Weaver un article dans lequel on pouvait lire: “Le chef des espions cubains [Gerardo Hernández] reconnaît maintenant que le mitraillage contre Hermanos al Rescate a eu lieu en dehors de l’espace aérien cubain » et ajoutait : « Dans un changement radical d’attitude, l’espion cubain dit que les avions ont été abattus dans les eaux internationales ». Ce qui revenait à dire que Gerardo démentait la version de son propre gouvernement.
Cet article faisait allusion à l’accusation de “Conspiration afin de commettre un assassinat en soutenant et en mettant en pratique un plan destiné à abattre des avions civils étatsuniens en dehors des espaces aériens de Cuba et des Etats-Unis.
La nouvelle ne m’avait pas étonnée outre mesure. Nous savons tous de quoi peuvent être capables des journalistes payés par un gouvernement, et ceux du Miami Herald en font partie. Je m’étais dit que c’était une mesquinerie supplémentaire dont le résultat serait de mettre Gerardo en rogne, et que ce n’était pas un hasard si l’article paraissait au moment où se prépare l’Habeas Corpus présenté par la défense de Gerardo.
C’était une erreur. Il ne faut jamais sous-estimer l’adversaire.
Outre le fait de « chauffer » l’opinion publique de Miami où doit être examiné l’Habeas Corpus (on ne sait pas encore si ce sera la juge Lenard, ou si elle en chargera un autre juge de Miami), l’article en question visait à semer le doute chez les gens peu ou pas informés. Je l’ai vérifié auprès d’un tout nouveau membre de la solidarité qui m’écrivait : « Et si c’était vrai ? »…
Eh bien non, ce n’est pas vrai !
La défense de Gerardo n’est en aucun cas un démenti envers son gouvernement. C’est une simple remise en cause de la stratégie de défense présentée au procès. Pour parler en clair, ce sont les erreurs de la défense assurée par Paul McKenna, l’avocat commis d’office à l’époque, qui sont la cible de la nouvelle équipe de défenseurs de Gerardo, équipe dirigée par l’avocat chevronné qu’est Leonard Weinglass.
Le point essentiel de la double condamnation à perpétuité de Gerardo est cette accusation de conspiration pour assassinat.
Rappelons les faits. Le 24 février 1996, deux petits avions d’Hermanos al Rescate sont abattus par la chasse cubaine, alors qu’ils venaient de balancer des tracts sur La Havane. Un troisième appareil dans lequel se trouvaient José Basulto, le patron de H al R, et trois « invités » fait prudemment demi tour aux premières sommations, tout en commentant le drame en direct pour une radio de Miami. L’affaire avait fait un grand scandale dans le monde et Cuba avait été accusée par les USA et la communauté gusana de Floride d’avoir descendu les deux avions dans les eaux internationales. Les Cubains affirmaient que non. Le Conseil de Sécurité de l’ONU, saisi par les yanquis, chargea l’OACI (l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale), sa branche spécialisée dans l’aviation, de faire une enquête. Celle-ci révéla qu’entre les informations fournies par les radars cubains et les radars étatsuniens, il y avait « des différences significatives et irréconciliables », ce qui veut dire que les Américains avaient une estimation des eaux territoriales cubaines nettement en dessous de la réalité… Les tergiversations de l’ONU agacèrent Madeleine Albright, alors secrétaire d’état de Clinton, qui imposa au Conseil de Sécurité un texte condamnant Cuba !
Ce qui permit d’indemniser les familles des quatre victimes et les avocats en puisant dans les avoirs cubains gelés aux USA.
Gerardo Hernández était le responsable du réseau Avispa. C’est ce réseau de dix agents, qui étaient sous surveillance de la CIA depuis un certain temps, qui a été démantelé le 12 septembre 1998. Sur les dix, cinq acceptèrent de négocier avec le procureur en plaidant coupables contre des peines très réduites et une « green card », c’est-à-dire un permis de résidence et de travail. Un onzième échappa de peu à la rafle. Il s’appelle Juan Pablo Roque, a un physique à la Richard Gere et une histoire digne d’un film d’espionnage. Recruté comme agent de renseignements par l’état cubain, il a un beau jour rallié la base yanqui de Guantànamo à l’aide d’un équipement de plongée sous-marine. Il déclare être un pilote de l’armée cubaine écœuré par une mise à pied injustifiée et demande l’asile politique. Transféré à Miami, il y est reçu en héros. La FNCA va même financer une publication de ses «mémoires», au contenu adapté, bien entendu, au public local. Basulto, conquis, le prend sous son aile et l’incorpore à Hermanos al Rescate, où il retrouve notre René Gonzàlez, lui aussi devenu pilote de l’association après être arrivé aux USA dans un avion militaire soi-disant volé à Cuba. Tous deux informent Cuba des plans d’Hermanos al Rescate, mais informent aussi le FBI sur les trafics d’armes et de drogue qui sont les activités annexes de l’association… Mais Roque a le mal du pays, sa famille lui manque. Il ne supporte pas la pression terrible qui pèse sur chacun des infiltrés. Il demande son rapatriement. Le 26 février, c’est l’anniversaire de son fils et il voudrait être là. Alors le gouvernement cubain organise « l’opération Venetia » pour organiser son retour. C’est Gerardo qui est chargé de mener à bien l’opération. Le 23, il réussit à le faire embarquer sur un avion de ligne et peut le 24 envoyer à La Havane le message suivant : « La operación a la que aportamos un granito de arena terminó con éxito ». Message intercepté comme 350 autres par la CIA ! Ce qui aurait dû faire un scandale de premier ordre parmi la mafia de Miami est quasiment passé inaperçu car ce jour même la chasse cubaine abattait les deux petits avions. Ce qui permit à l’accusation de donner au message de Gerardo un tout autre sens et de dénoncer un plan entre Gerardo et le gouvernement cubain pour assassiner les quatre occupants des petits Cessna de l’armée américaine aimablement fournis à Hermanos al Rescate. Des avions militaires qui permettait à Basulto de faire du rase-mottes sur la Havane, de mitrailler des hôtels, de balancer de la propagande et des médailles religieuses, et de perturber les communications entre la tour de contrôle de José Marti et les avions de ligne, ce qui aurait pu singulièrement perturber les atterrissages, en braillant au micro des âneries du genre : « Como “cubano libre” tengo derecho a violar el espacio aéreo restringido de cualquiera »… Le qualificatif qui me vient à l’esprit étant indigne d’une personne bien élevée, je m’abstiendrai de le dire ici.
C’est sur des éléments aussi peu probants que Gerardo Hernandez a été condamné à une seconde perpétuité. Le fait d’avoir été déclaré coupable de la mort des quatre occupants des Cessna a fait de Gerardo le bouc émissaire de la mafia de Miami, rendant encore plus difficile pour Obama de lui accorder une grâce présidentielle. C’est aussi cette seconde perpétuité qui l’a écarté de toute révision de sentence concernant l’accusation de tentative d’espionnage contre la sécurité des USA. Autre effet souvent ignoré de cette affaire, le vote de la loi Helms-Burton, une loi que le Congrès US renâclait à voter depuis plusieurs mois et contre laquelle Clinton avait menacé d’opposer son veto. Après la destruction des petits avions d’Hermanos al Rescate, la loi fut votée sans problème…
Voilà le fond de l’histoire.
Aujourd’hui seule une demande d’Habeas Corpus peut changer la situation des Cinq et plus encore celle de Gerardo, puisque tous les recours juridiques ont été épuisés, ce qui est la condition sine qua non pour lancer la procédure. Ce qui ne veut pas dire qu’elle sera acceptée puisque cela dépend essentiellement de la juge Lenard, celle-la même qui a condamné les Cinq il y a dix ans. De plus pour que l’Habeas Corpus soit examiné il faut des éléments nouveaux.
Grâce à l’action du Comité National US de Gloria La Riva, cet élément nouveau nous l’avons depuis le 3 juin 2010. Une enquête commanditée par ce Comité a révélé, preuves et chiffres à l’appui, que des journalistes des principaux médias de Miami ont été payés pour créer un climat propice à la condamnation des Cinq. Heidi Boghosian, directrice de la Corporation Nationale d’Avocats, a déclaré : « De cette manière a été interdit aux accusés le droit affirmé par le Sixième amendement de la Constitution américaine, qui garantit le droit à un juste jugement et à un jury impartial. Il n’y a aucun doute que les articles trompeurs et les écrits méprisants des reporters payés par le gouvernement ont eu un impact direct sur l’opinion publique, sur le tribunal et sur la cour d’appel dans le cas des Cubains ».
L’équipe d’avocats qui s’occupent collégialement des Cinq depuis plusieurs années a donc présenté cette demande d’Habeas Corpus au nom de Gerardo Hernandez, demande qui pourra ensuite être éventuellement étendue aux autres co-accusés. Ce qui est une autre histoire.
L’audience préliminaire se tiendra lorsque toutes les conclusions des parties auront été déposées, sans doute entre mars et juin 2011.
Il reste très peu de temps à la défense pour présenter ses conclusions. Elles sont basées essentiellement sur la dénonciation d’erreurs de la défense de l’époque.
Une des erreurs les plus graves a sans doute été de ne pas informer Gerardo de son droit à exiger un procès séparé pour la charge de conspiration en vue de commettre un assassinat, empêchant ainsi les autres co-inculpés, et essentiellement René, de témoigner en faveur de Gerardo. De plus, Paul McKenna, le jeune avocat commis d’office, s’est tellement arc-bouté sur ce point qu’il n’a pas plaidé contre les autres charges, contrairement à la demande de son client !
Une autre erreur majeure de la défense a été de vouloir remettre en cause la décision du conseil de Sécurité de l’ONU sur la détermination du lieu de l’intervention de la chasse cubaine. Avec pour seul résultat d’indisposer davantage les jurés contre Gerardo. McKenna n’a même pas demandé le recours aux informations satellitaires nord-américaines qui auraient pu résoudre le problème une fois pour toutes !
Dans ce procès, ce point était absolument secondaire : que Cuba ait eu le droit de se défendre contre une menace imminente est un fait indiscutable.
Pour condamner Gerardo Hernandez, le gouvernement avait besoin de prouver l’existence d’un plan pour descendre les avions d’Hermanos al Rescate hors de l’espace aérien cubain, que l’accusé était au courant de ce plan et qu’il était d’accord pour y participer. Or l’OACI a mis en évidence que le largage des tracts avait eu lieu depuis l’espace aérien cubain, ce que Basulto lui-même avait dit à la radio,mais curieusement ces faits ont été oubliés…
Les trois juges d’Atlanta qui en 2005 avaient cassé le jugement avant d’être désavoués par la Cour plénière ont fait par de leurs réserves sur le cas de Gerardo. Ainsi Phyllis Kravitch a-t-elle déclaré : « Il ne suffit pas que le gouvernement indique simplement qu’il y a eu une attaque dans l’espace aérien international, il doit prouver au-delà de tout doute raisonnable qu’Hernàndez était d’accord pour que cela ait lieu ». Le juge Birtch, quant à lui, a affirmé a propos de la condamnation de Gerardo qu’il s’agissait « d’un cas très très douteux »… Ce qui en dit long.
Vers la fin du procès, McKenna semble s’être rendu compte qu’il s’était fourvoyé dans sa défense. Il expliqua alors au jury que toutes les preuves qu’il avait présentées depuis le début ne devaient pas être prises en considération. Ce qui ne fut pas du goût des jurés qui souhaitaient avant tout que tout cela finisse pour revenir à leur quotidien.
Aujourd’hui, Paul McKenna reconnaît courageusement ces erreurs, dues à la démesure d’un procès qui dépassait le jeune et inexpérimenté avocat commis d’office et a accepté d’en témoigner à l’audience d’Habeas Corpus afin de permettre de démontrer que Gerardo Hernandez a droit à un nouveau procès. On ne peut que saluer le courage de cet homme qui dans un premier temps a accepté de défendre un accusé alors que plusieurs de ses confrères ont refusé, craignant pour leur carrière et pour leur tranquillité. Lui a pris ces risques.
Quant à Gerardo, isolé dans sa prison d’Adelanto, en plein désert de Californie, il garde le moral. Même la brutale mise au secret du 21 juillet au 3 août 2010, au moment où ses avocats mettaient en place les bases de l’appel en Habeas Corpus, n’a pu entamer sa détermination et sa foi en la victoire. Il dit que tous les efforts de la solidarité pour obtenir sa libération « son como el agua que cae sobre una roca, e incluso las rocas más duras ceden con el tiempo».
Ce qui signifie : « C’est comme de l’eau qui tombe sur un rocher, et même les rochers les plus durs cèdent avec le temps ».
Annie Arroyo
21 janvier 2011