Rafael Lam
JEAN Ferrat, considéré comme le dernier grand nom de la chanson française avec Jacques Brel, Leo Ferré et Georges Brassens, est décédé il y a un an. Sa dernière visite à Cuba date de mai 1967.
Pour en savoir plus sur les détails de son voyage dans l’île, il y a 44 ans, j’ai rencontré Julio Bidopia, directeur général de l’agence de musique Clave, qui organisa la tournée du chanteur français.
« En 1967, je me suis rendu à Paris alors que j’étais directeur des Relations internationales du Conseil national de la Culture. C’est au cours d’une réception à l’ambassade de Cuba que s’est décidée la visite de Jean Ferrat. On peut voir des photos de cette première rencontre et, bien sûr, de sa tournée dans plusieurs villes du pays, où il a été accueilli par l’Institut d’amitié avec les peuples (ICAP).
Julio Bidopia se souvient d’une rencontre de deux heures à l’hôtel National entre Ferrat et le chanteur, compositeur et pianiste cubain Bola de Nieve et d’autres chanteurs du mouvement « feeling », notamment Cesar Portillo de la Luz, Rosendo Ruiz Quevedo, José Antonio Méndez.
« Nous n’avons pas chanté, me précise Portilio, nous avons plutôt échangé des vues sur la chanson en général. Bola avait déjà fait plusieurs tournées en France qui lui avaient valu une notoriété certaine. Une rencontre très amicale : Jean Ferrat était un artiste sensible, qui ne cachait pas ses inquiétudes sur les problèmes de l’industrie de la musique et de la politique, qu’il considérait avec un esprit critique et avec fermeté.
Pour Ferrat la chanson était un moyen d’expression qui lui permettait de transmettre ses inquiétudes, non d’une façon commerciale, mais comme une œuvre d’art.
«Je crois que mes chansons font réfléchir la jeunesse. Autrement, je ne chanterais pas. L’essentiel est que chacun apporte sa pierre à l’édifice dans son champ d’action. La chanson est un outil qui me sert à dire mes préoccupations aux gens. Ainsi, dans Nuit et brouillard je parle des déportés vers les camps de concentration. Le chanteur doit être compris par tout le monde, sans pour autant chanter des bêtises. L’artiste doit être complexe et simple à la fois. »
Ferrat se produisit à La Havane le 24 mai 1967, au théâtre Amadeo Roldan où le public de la capitale l’attendait avec impatience. À cette époque à La Havane on écoutait le rythme Mozambique, le quatuor Los Zafiros, et le Changüi-Shake de Juan Formell et Elio Revé.
Ferrat avait alors 37 ans, et portait une énorme moustache. Il arriva avec Christine Sèvres, sa compagne, et Jean Tessier, le photographe du journal l’Humanité, accompagné de ses musiciens Guy Boulanger (piano), Marc Larrange (batterie), Roland Evans (contrebasse) et J.C. Mouling, ingénieur du son.
Il interpréta une vingtaine de chansons sur des sujets principalement consacrés à l’homme, à ses luttes et à l’amour. A l’époque, certaines de se chansons étaient interdites en France.
Le public de l’Amadeo put apprécier notamment Aimer à perdre la raison, Camarade, La montagne, Nuit et brouillard, et parmi ses plus grands succès, Les yeux d’Elsa, un poème de Louis Aragon. Chaque interprétation soulevait l’enthousiasme du public.
Les paroles de ses chansons démontraient « qu’il ne chantait pas pour passer le temps », mais pour remplir le temps. Parmi ses chansons qui traduisait le mieux le ressenti populaire, auquel se mêle la dureté de ses dénonciations, on trouve : La montagne, qui raconte l’inquiétude de l’homme qui doit émigrer loin de sa terre pour gagner sa vie ; La liberté est en voyage, une dénonciation de la liberté apparente du monde capitaliste ; En groupe, en ligue, en procession, où il fustige les guerres coloniales, et Potemkine (paroles de Georges Coulonges et musique de Ferrat), où il affirme sa conviction que la rébellion contre l’injustice est toujours d’actualité.
Jean Ferrat est venu deux fois dans notre pays. La deuxième à l’occasion du 1er Festival international de la Chanson populaire de Varadero.
En 1972, il quitte la scène, déçu par les nombreux problèmes politiques de son époque, mais aussi très critique par rapport aux multinationales de la musique et à la manipulation de l’industrie du disque qui, selon lui, mettaient en danger l’indépendance de la création. Il meurt à 79 ans, le 13 mars 2010.
Le public parisien considérait Jean Ferrat comme l’« icône chanson rebelle ».
Tiré de Granma