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blog des amis de Cuba en Lorraine

Entretien "L'unité des Caraïbes a été détruite par la colonisation" article de 2008

Chapelet d'îles et d'îlots semés au large des côtes américaines, les Antilles sont le creuset d'une multitude de cultures forgées par les drames de l'histoire. Jacques Coursil, musicien et universitaire, revient sur leurs spécificités et leurs points communs.  

Propos recueillis par Jacques Denis  


Jacques-Coursil


Existe-t-il une unité des îles des Caraïbes ?

Jacques Coursil : Cette unité de l'archipel caribéen existait avant l'arrivée de Christophe Colomb [1492]. Les Caraïbes et les autres peuples étaient des marins expérimentés qui naviguaient d'îles en îles à des fins guerrières ou d'échange. Cette circulation caribéenne va s'effondrer avec l'arrivée des puissances coloniales et l'extermination des peuples autochtones.  

Mais ne peut-on pas identifier une unité de peuplement, ou du moins des traits communs, sur toute la zone à partir de l'arrivée de Colomb?

Bien sûr, parce que l'élimination physique des habitants de la zone est compensée par la traite esclavagiste africaine. Mais ce nouveau peuplement est réparti par confinement : la société de plantation est tout sauf ouverte ! Les lieux d'origine des esclaves transbordés, de génération en génération, s'enfouissent progressivement comme traces, comme formes imaginaires, dans la mémoire. Aimé Césaire ne disait-il pas « j'habite une blessure sacrée - j'habite des ancêtres imaginaires » ? Ce n'est que hors la plantation, dans certaines communautés de nègres marrons, que le "pays d'avant" perdure et se recrée par bribes. Ainsi, pour vraiment trouver une unité ou des traits communs à toutes ces populations disséminées et confinées dans les îles, il faut commencer par dire que cette unité a été détruite et qu'elle ne se crée de nouveau qu'aujourd'hui. Les quatre siècles de colonisation européenne de la Caraïbe ont transformé l'archipel en une grappe de systèmes sans liens. Cette vocation caribéenne est notamment celle des écrivains de la "postnégritude" : Depestre, Walcott, Glissant, et quelques autres. Édouard Glissant écrit ainsi : « Cette île, puis ces îles toutes unies, nommez-les, criez-les : le temps est là. » Ce n'est plus de racine vers une origine africaine dont il s'agit ici, mais à l'inverse, d'enracinement dans un archipel.

Aucune histoire commune, donc ?

Si, vous avez raison, mais avoir une histoire commune issue d'un même drame, d'une même cassure, ne signifie pas que les cultures soient semblables, compte tenu des aléas de l'histoire coloniale, d'une si longue absence de contacts, compte tenu aussi de la variété des langues et de la créativité propre des cultures.

Existe-t-il un rapport d'entraide entre ces peuples qui constituent ces histoires parallèles ?

Sur le plan institutionnel, oui bien sûr, tout comme sur le plan culturel. Les politiques, les intellectuels, les artistes, tous ont une tendance pro-caribéenne aujourd'hui. Le Caricom1, malgré sa fragilité, est le résultat de cette volonté. Mais dans les mœurs, c'est une toute autre histoire ! Nous sommes pris dans les imbrications et les torsions de pensée propres aux situations postcoloniales dont la constante est une crise identitaire aiguë, pour les ex-colonisés comme pour les ex-colonisateurs. Dans une telle situation, les rapports d'entraide ne sont jamais simples.

Le fond musical des îles permet tout de même de dégager des traits parallèles : calypso, biguine, son cubain, voire jazz des premières heures... Est-ce aussi là une autre vue de l'esprit européen ?

Toutes les musiques que vous citez, qui sont propres aux Africains des Amériques, sont fondées sur l'harmonie tonale et les instruments d'orchestre, au sens de la musique classique occidentale. Pour leur part, les musiques traditionnelles d'Afrique de l'Ouest et Centrale - lieux de la Traite - sont modales (plain-chant) et n'ont pas le même système d'intonation. Telle est la différence. Le lien, quant à lui, est que toutes ces musiques américaines sont cadencées en mesure à quatre temps comme l'est un sabar sénégalais ou un juju yoruba. La trace enfouie est là, retrouvée dans cette communauté de cadence, aux variations rythmiques infinies selon les lieux. Ainsi, l'harmonie tonale européenne, les instruments d'orchestre et la cadence africaine constituent le fond musical de ces Amériques : le reste, dans leur diversité géographique et historique, est la créativité elle-même.

Le tambour persiste plus aisément chez les hispanophones et les lusophones... Cela voudrait-il dire qu'il y a différents types de colonisation ?

À l'époque des écrivains du Mouvement de la Négritude, à qui l'on doit la réinscription de l'Afrique dans la mémoire, le tambour était encore mal considéré. Les Martiniquais jouaient plutôt du violon ou de la clarinette ; cela a donné le grand Stellio, musicien de dimension internationale, et tant d'autres. Certes, dans les grandes îles, certaines traditions africaines se sont maintenues, comme en Haïti ou à Cuba.
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