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blog des amis de Cuba en Lorraine

Du regueton au cubaton, le son caribéen...vidéos de Gente de Zona


Le regueton, qui agite le monde latino, s’impose à Cuba, sanctuaire de la salsa et du mambo, et mute en un genre hybride, le cubaton.

Correspondance particulière.


Que faire de jeunes bardés d’or aux couleurs plus bling-bling que des rappeurs américains, que ces derniers même ne jugent « bons qu’à produire des éructations sans musique destinées à faire bouger les hanches et non le cerveau » ? Que faire d’un son qui détrône la timba des charts mais que toute la population cubaine écoute en boucle ? À d’autres questions insolubles telles : « À qui les voitures de luxe et les cigares après la révolution ? », Cuba a su répondre : Gente de Zona, groupe phare du regueton dans l’île, vient de signer chez Egrem, le label d’État depuis la nationalisation des autres en 1964, et le groupe remporte cette année le prestigieux Cubadisco. Pour l’oreille profane, le cubaton est un virus qui commence par faire tousser et rend le corps immobile douloureux, mais pour peu qu’on laisse la fièvre se déclarer en se levant de sa chaise, la température grimpe à un degré jamais atteint. Il y a du bal de village d’avant l’électricité quand le public s’associe au groupe pour faire les choeurs pendant toute la durée du concert. « Dans les taxis, les bars, les clubs, les concerts, il y a du regueton, et s’il n’y en a pas, les gens en réclament », dit Iraida, traductrice de Havanatour.

Le cubaton se distingue du regueton par l’absence des grossièretés d’usage. Pas d’apologie de la violence, de racisme ou de rejet primaire de la société, mais des histoires de vie quotidienne, et une exaltation du plaisir et de la fête. C’est du carnaval sur scène qui raconte sans cesse des histoires, dont la diction syncopée rappelle les voisins jamaïcains. D’où comme première idée de le rattacher au hip-hop. Mais, derrière le rythme du chant, le beat est zouk, comme le fait remarquer le pianiste Manolito : « On a amené beaucoup de mélodies et de rythmes nouveaux sur la base regueton. Du cha-cha-cha avec Orixas, de la Conga avec Asento Latina, de la rumba, du danzon avec le groupe Gente de Zona. Du son voire du songo, le rythme inventé par Los Van Van. Ce genre de fusion est un classique à Cuba : dans les années 1980, on mixait tout à notre sauce ! »

Plus fort : Juan Formell est formel : « J’ai joué du regueton dans les années 1970. » Alors est-ce le regueton qui envahit Cuba ou Cuba qui invente le cubaton ? Une chose est sûre : l’île fait fusion depuis longtemps. Cuba inspire ou respire les caraïbes et le hip-hop. Pression ou dépression ? Le souffle dans les deux sens s’annule : Cuba, c’est l’oeil du cyclone.

Même si, pour Manolito, « l’ordinateur qui fait disparaître musiciens et formations acculture la musique cubaine », tous les grands noms se conver-tissent d’une manière ou d’une autre au cubaton, cette musique qui a permis à de jeunes inconnus, même pas issus du Conservatoire, de se hisser en tête avec une boîte à rythmes et quelques idées basiques. Et de brasser plus d’argent en un an que les anciens dans toute leur vie ! C’est ainsi qu’est né le cubaton, la rencontre du troisième type entre la science musicale cubaine et les reguetoneros, tant et si bien que ces derniers lâchent l’ordinateur et se mettent à jouer en live pour ne pas être dépassés par la fusion des anciens. Et la réalité rejoint l’étymologie, car « ton » signifie « super bon ».

« Le regueton, c’est une bombe. On ne veut pas nous reconnaître mais on chante le réel, la crise, l’amour, le sexe. Benny Moré venait aussi de la zone. Il a crevé de faim avant de devenir le plus grand chanteur de la musique cubaine. Comme lui, nous sommes des « barbares du rythme » des « bandits-dandys », assène Gente de Zona. Leurs chants répètent : « Tu ne veux pas me voir mais je suis là, tu veux m’effacer mais je suis plus fort que toi. Tu vas m’écouter de toute façon. »

Pour preuve : Adriana, quarante-trois ans, travaille à la télévision cubaine, a des connaissances de musique nationale profondes comme ses compatriotes, étendues bien au-delà comme tout Cubain éduqué (ils sont nombreux), et danse tout ce qui se danse depuis l’enfance. Rencontrée au concert de Gente de Zona, elle nous assure : « Le cubaton, c’est impossible de ne pas bouger. J’ai dansé tous les rythmes cubains mais celui-ci, c’est très bon… Les femmes sont un thermomètre de la danse et là, elles sont en transe. Ce son est plus pour les femmes que le rock par exemple, qui a une énergie folle mais plus masculine. Les rôles sont inversés, les hommes sur scène dansent pour les femmes. » Comme le sultan qui convoque les danseuses du ventre jusqu’à l’aube. Mais ici, ce sont elles les princesses et eux qui miment l’amour. « À chaque fois que le son s’arrête, tu es frustrée… tu as une envie folle que ça reprenne. »

Le secret du regueton est peut-être deux rythmes qui s’enlacent sans s’effacer. Un pied zouk enveloppé d’une scansion raggamuffin syncope des vagues de beat irrégulières, frissons d’une efficacité inexorable dans la danse, ellipse musicale à deux coeurs, soit, selon la définition de l’écrivain cubain Severo Sarduy, baroque…

Pour entendre du cubaton, c’est sur Radio Latina,

de 20 heures à 21 heures,

ou sur Trace Tropical,

ou attendre la venue en juillet à Paris de Gente de Zona. Quelques groupes à chercher en import : Baby Lores y Insurgentes, Gente de Zona, Bamboléo, Eddy K,

Primera Bases, Orixas,

Asento Latino…

Patrick Latronche, journal l'Humanité 31 juillet

 

 


 


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