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La fraternité par Leonardo Padura Fuentes*
LEONARDO PADURA, autre écrivain cubain (vidéo)
Dans les coulisses de l'Histoire, Leonardo Padura livre un polar haletant sur l'assassinat de Trotski en 1940.
Il suffirait à un auteur de romans policiers d'ouvrir un dictionnaire historique pour y trouver les intrigues, les rebondissements et les meurtres les plus effroyables qui soient. Il arrive souvent que la réalité défie la fiction. L'un des assassinats politiques les plus célèbres du XXe siècle est celui de Léon Trotski, tué d'un coup de piolet dans la tête par un certain Ramón Mercader, à Mexico, en 1940. Le fait est avéré, on connaît aussi bien l'identité de la victime que celle du commanditaire. Dans L'Homme qui aimait les chiens, le Cubain Leonardo Padura suit pas à pas Lev Davidovitch Bronstein, alias Léon Trotski, et Marcader qui sera son meurtrier. Trotski, le héros de la révolution russe, ami de Lénine, est un homme pourchassé. Dans un polar, on dirait que Staline veut sa peau - ce qu'un livre universitaire ne saurait d'ailleurs réfuter. Exilé en Turquie, en France, en Norvège, finalement au Mexique, Trotski sent l'étau se resserrer autour de lui et de ses proches, menacés, victimes d'intimidation, ou purement et simplement assassinés. On l'accuse de tous les maux, y compris les plus invraisemblables - mais quelle invraisemblance une machine de propagande soutenue par un appareil policier n'est-elle pas capable de faire admettre ?
Ramón Mercader, lui, est un jeune Espagnol engagé dans la guerre civile pour lutter contre les franquistes. Il assiste, incrédule, aux luttes fratricides entre anarchistes, militants du Poum, socialistes, avant d'être embrigadé par les communistes. Il devient « le soldat 13 », machine à tuer formée dans les camps d'entraînement soviétiques, puis Jacques Mornard, un nom d'emprunt qui le fait définitivement basculer dans la lutte clandestine et le destine à sa mission : tuer Trotski, fondateur de la IVe Internationale.
Leonardo Padura sait raconter des histoires policières aux arrière-plans bien plus profonds que le simple déroulement des événements. Dans ses romans antérieurs, les péripéties traversées par le lieutenant cubain Mario Conde ont témoigné du regard toujours affûté de l'écrivain sur la réalité sociale et politique de son pays, Cuba. Il vit ici avec ses personnages, scrute leurs doutes et leurs certitudes. Et même s'il connaît l'issue de l'affaire, le lecteur est entraîné dans une incroyable histoire où trahisons, mensonges, dénonciations et faux-semblants font sans cesse rebondir un récit haletant. Quant à l'homme qui aimait les chiens qui donne son titre au roman, silhouette mystérieuse qui promène ses lévriers russes sur les plages de La Havane, il serait indélicat de dévoiler ici son identité. Il faut laisser au lecteur le soin de découvrir toutes les nuances de rouge qui teintent ce superbe livre.
Traduit de l'espagnol (Cuba) par René Solis et Elena Zayas, éd. Métailié, 672 p., 24 EUR.
Gilles Heuré
Telerama n° 3183 - 15 janvier 2011